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dans le gouvernement, et les contradicteurs ne le trouvaient pas moins intraitable que les rebelles. Dans une époque où l’on était surtout curieux de questions et de controverses théologiques, le système absolu de Calvin devait soulever des objections nombreuses. Tous les beaux esprits avaient la prétention de raisonner sur les matières de la foi. On avait, au XVIe siècle, l’ambition d’être théologien, comme on eut au XVIIIe celle d’être philosophe. Ce désir indiscret qui poussait tant d’imaginations à se mêler du dogme était un crime aux yeux de Calvin. Il ne croyait pas qu’un homme eût le droit de s’ériger en docteur de la foi sans la conscience d’une vocation réelle. Et quel était pour lui le signe de cette vocation ? C’était la conformité avec la doctrine qu’il enseignait lui-même. Il se considérait comme l’organe prédestiné de la vérité divine ; aussi les objections et les critiques qu’on lui opposait prenaient à ses yeux le caractère d’impiétés et de blasphèmes. Il confondait sa cause avec celle de Dieu, et c’est ainsi que la persécution de ses adversaires devenait pour lui un devoir.

Bolsec, carme défroqué, accusa Calvin de faire Dieu auteur du péché par sa doctrine de la prédestination : il fut banni de Genève à perpétuité. Sébastien Chateillon eut l’idée malheureuse de se détourner de l’enseignement des lettres grecques, dans lequel il excellait, pour s’immiscer dans la théologie : Calvin, qui jusqu’alors l’avait favorisé, le contraignit à sortir de Genève, et ne cessa de le poursuivre. Deux Italiens, Valentin Gentilis et Bernardino Ochino, avaient tenté, dans leur patrie, de répandre une sorte d’arianisme, et étaient venus chercher un refuge à Genève. Calvin les châtia par la prison et l’exil, et le premier, Valentin Gentilis, eut plus tard la tête tranchée sur le territoire de Berne. Cependant Théodore de Bèze vante la modération de Genève et de Calvin : « Il y a peu de villes de Suisse et d’Allemagne, dit-il, où l’on n’eût fait mourir des anabaptistes et à bon droit ; ici on s’est contenté du bannissement. Bolsec y a blasphémé contre la providence de Dieu ; Sébastien Chateillon y a blasonné les livres même de la sainte Écriture ; Valentin y a blasphémé contre l’essence divine ; nul de ceux-là n’y est mort ; les deux ont été simplement bannis, le tiers en a été quitte pour une amende honorable à Dieu et à la seigneurie. Où est cette cruauté ? Un seul, Servet, a été mis au feu. Et qui en fut jamais plus digne que ce malheureux ? » On comprend maintenant l’esprit de ce siècle : la mort y était de droit commun pour le crime d’hérésie. Les catholiques brûlaient les protestans à Lyon et à Paris. Philippe II, à Madrid, n’était