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plus tard l’Institution de la religion chrétienne ; c’était par là qu’il fallait commencer. Il fallait éditer le monument de Calvin, si peu lu de nos jours, il fallait l’éditer avec les variantes des diverses versions françaises et des rapprochemens tirés du texte latin. Il y aurait encore une autre manière de faire une édition choisie des œuvres françaises du réformateur, en adoptant la forme et les divisions d’une chrestomathie qui présenterait, sur tous les points essentiels du christianisme et des controverses du XVIe siècle, les pensées et les développemens de Calvin.

Revenons au fond des choses. Le premier résultat du calvinisme a été la création morale d’un peuple, d’une cité. Jusqu’à la venue de Calvin, Genève s’était peu distinguée des autres municipalités de la Suisse et de l’Allemagne ; par la doctrine et le gouvernement du réformateur, elle contracta une originalité qui la soutient encore. Sans cette régénération qui lui fut imposée avec une dureté nécessaire, elle eût couru le risque, entre la France et l’Allemagne, de n’être guère qu’une ville de passage et de plaisir. Au contraire, sous la discipline du christianisme réformé, elle acquit un génie sévère, plus fort qu’étendu, plus méthodique que fécond, mais qui, par son intelligente exactitude, n’a pas médiocrement servi tantôt la religion, tantôt la science. L’esprit génevois se fit connaître avec ses qualités et ses défauts, et cette petite république occupa dans le monde des idées une place plus considérable que sur la carte de l’Europe.

Le calvinisme n’enferma pas son influence dans les murs de Genève. Le réformateur se souvint du pays ou il était né, et les écrivains du XVIe siècle nous attestent le mouvement qu’il se donnait pour former en France un parti puissant, une grande église. « Tout ainsi que Luther, dit Pasquier, attira à sa cordelle une bonne partie d’Allemagne, dont il était extrait ; ainsi Calvin s’étudia de faire le semblable en nostre France, lieu de sa nativité. Il survesquit long-temps Luther : chose qui lui donna le loisir d’espandre sa nouvelle doctrine au milieu de nous et en plusieurs autres contrées[1]. » Ces autres contrées dont parle Pasquier sans les désigner, étaient certaines parties de l’Allemagne, l’Angleterre, l’Écosse, la Hongrie, la Pologne. Calvin y fondait des églises ; il s’y rendait présent, pour ainsi dire, par ses prosélytes et par ses lettres. Pour trouver quelque chose qui ressemble à l’activité épistolaire de Calvin, il faut remonter aux plus grands hommes de l’église catholique, à Grégoire Ier, à Innocent III. Des

  1. Recherches de la France, liv. VIII, chap. 55.