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DU ROMAN DANS L’EUROPE MODERNE.

façon pimpante et sévère, avec un petit sourire doux et sardonique. « Allez, mon beau petit livre, dit-il à la fin, vous serez le vade mecum du genre humain. » Et il ne s’est pas beaucoup trompé. Le maître d’école du XIIIe siècle a eu l’honneur d’ouvrir cette route de l’observation spéciale, attentive, minutieuse, détaillée, dont la trace se retrouvera plus tard dans l’épopée satirique et européenne, intitulée le Renard, et dans la Nef des Fols de Sébastien Brandt. Toutes les nations septentrionales d’Europe ont été, depuis Hugo, bien plus avant dans cette voie. Hugo est l’initiateur.

Point d’imagination, de coloris, d’éclat, de grandeur, de personnification chez Hugo ; ce patriarche de l’observation de détail et du roman de mœurs est fin et sérieux, minutieux et sec, comme Holbein et comme Smollett. Ne demandez au bonhomme ni galanterie ni élégance ; il traite les hommes, les femmes et les filles, comme un naturaliste traite ses insectes. Dans sa bonne humeur inexorable, il pique avec son épingle noire et classe avec une minutieuse régularité chaque spécimen qui s’offre à lui, n’épargnant pas ce qu’il y a au monde de plus gracieux et de plus doux.

« Mes jeunes filles, dit-il quelque part, vous avez les cheveux bien longs et la judiciaire bien courte… La route qui va de vos yeux à votre cœur est facile, et, sur cette route périlleuse, Dieu sait que de pensées dangereuses cheminent par bataillons !… »

Kortzyn mut und lange haar
Han die meyde sunderbar,
Dy zu yren jahren kommen synt ;
Dy wal machen yn daz hertze blynt
Dy auchgn wysen yn den weg
Von den auchgn get eyn steg
Tzu dem hertzen nit gar lang ;
Uff deme stege ift vyl manning gedang,
Wen sy woln nemen oder nit
.

Le bonhomme continue ainsi, se murmurant à lui-même une sorte de mélopée monotone d’observations satiriques sur cette grande et éternelle aventure du mariage, et sur les divers caractères qui s’embarquent pour ses terres inconnues. De temps en temps il rencontre quelques bons traits comiques, par exemple celui-ci :

Moralisons comme de bons apôtres ;
Pas de pitié pour les péchés des autres ;
C’est pain bénit de blâmer son prochain.