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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

mot nous semble exprimer on ne peut mieux tout son caractère lyrique. Il chante en effet comme un enfant sous la voûte du ciel, et sans s’inquiéter qu’on l’écoute ou non. C’est avec le regard pur et bleu des enfans qu’il contemple le monde, c’est avec leur insouciance naïve qu’il touche aux plus grandes choses comme aux plus petites. Simple, candide, dénué de toute prétention, vous diriez qu’il s’ignore lui-même, qu’il n’a pas conscience des idées, souvent profondes et sublimes, qu’il effeuille en douces énigmes ; pareil à cette fleur de la passion, à cette passiflore dont le frêle calice contient l’immensité d’une douleur divine. En ce sens, il y a du mysticisme dans la muse enfantine de Kerner, je dis enfantine et non puérile. Chaque fois qu’il arrive à cette muse ingénue et blanche de toucher aux objets de la vie extérieure, elle passe en les effleurant, et glisse dessus d’un vol rapide, tant elle a peur de voir s’y prendre ses molles ailes de Psyché. Uhland, dans le sonnet qui suit, me paraît avoir compris à merveille ce caractère délicatement superficiel de la poésie de Kerner :

« C’était dans les sombres jours de novembre, j’étais venu au bois silencieux de sapins, et debout, appuyé contre l’un des plus hauts, je parcourais tes lieds.

« J’étais plongé dans tes saintes légendes : tantôt je m’inclinais devant le roc miraculeux de Saint-Alban, tantôt je contemplais Regiswind dans un nimbe de rose, tantôt je voyais poindre le cloître d’Hélicène.

« Ô doux prodige de tes lieds ! la hauteur m’apparut tout à coup baignée dans l’or du mois de mai, et l’appel du printemps retentit dans les cimes.

« Bientôt pourtant se dissipa ce printemps merveilleux. Il craignait de s’abattre dans la vallée, et ne fit qu’effleurer de son vol les sommets de la terre. »

Souvent c’est la rêverie que la muse de Kerner affectionne, rêverie enfantine, indécise, ballottée entre la joie et la tristesse, mais, d’un côté comme de l’autre, n’éclatant jamais, au contraire s’efforçant toujours de se contenir et n’exprimant que peu, avec réserve. Ici comme chez Uhland, le peu est essentiel, sublimé ; la réticence donne à penser. Une bienheureuse quiétude, une sérénité presque divine, éclairent sa joie et ses douleurs, et toujours, même à travers une larme, vous voyez s’épanouir sur son visage la fraîche rose de l’enfance. Dès sa venue au monde, la muse de Kerner a respiré ce sentiment dont nous parlons. Qu’on lise la pièce intitulée Consolation, un des premiers lieds qu’elle ait bégayés :

« Si nulle bien-aimée ne verse un jour des larmes sur ma tombe, les fleurs