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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/637

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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

« Et tous, chantant, levez vos coupes écumantes du côté de la montagne. — Eh bien ! te sens-tu plus libre à présent ? vois-tu le vignoble natal nager dans les parfums et le rayon du soleil ?

« Voyez comme ses yeux se multiplient pour contempler le sol natal avec ravissement, sa patrie d’où la vigne chargée de fleurs tourne ses regards vers lui !

« Il bout, il chante : « Salut à toi, coteau que la lumière inonde ! et maintenant, vous, mes amis, buvez, je ne suis pas le dernier. »

« Noble suc ! tu nous pénètres avec puissance jusque dans le cœur ! Allons, trinquez, et toi, sois porté vers ta chère patrie.

« Et qu’à celui qui erre sur le sol étranger, qu’à celui qui gémit dans les cachots, la patrie apparaisse encore comme à toi, avant de mourir ! »

Dans la pièce intitulée Lied après l’Automne, Kerner célèbre les travaux et le destin de l’artisan qui donne aux buveurs le suc précieux de la vigne. En parcourant le cycle de la lyrique populaire au moyen-âge, nous avions eu déjà occasion d’indiquer cette espèce de poétisation mystique des métiers dans leurs rapports avec la nature. La pièce dont nous parlons relève de ce sentiment passé aujourd’hui dans l’art, et dont la chanson du Mineur de Novalis reste pour le naturel et le fini de l’exécution, le plus intéressant modèle. Un lied plus populaire, où Kerner a chanté un autre produit de la nature toujours dans ses rapports avec l’activité, l’industrie humaines, c’est l’Éloge du Lin (das Lob des Flachses). Ce petit poème, dans sa simplicité toute concise et dénuée de prétentions, rappelle un peu de loin la Cloche de Schiller, dont il fait comme la contre-partie. Dans la Cloche aussi, pour peu qu’on s’en souvienne, il est question du rouet et du lin, les deux inséparables attributs de la ménagère allemande et de la poésie allemande, sans contredit la plus ménagère des muses. S’asseoir au rouet, tourner sa quenouille, filer, n’est-ce point là de tout temps leur vocation et leur orgueil, à l’une comme à l’autre ? et l’industrie moderne, en multipliant les fabriques, en remplaçant par les machines à vapeur l’honnête et paisible métier domestique, ne menace-t-elle pas dans leur double existence les deux bonnes sœurs jumelles, la ménagère et la muse allemandes ? Mais revenons au lied de Kerner. — La plante en fleur couvre le champ de son azur dont les ondulations célestes réjouissent l’été. Dès que la floraison commence à décroître, on arrache le lin de la terre, on le passe à la flamme qui l’argente ; alors des mains actives s’en emparent et le travaillent. Il orne l’alcove de la jeune fille, il entoure de ses plis ce corps pudique dont la virginité première, la