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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/638

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première fleur, est pour lui. Il accompagne à l’autel la jeune épouse, il couvre le cercueil de la trépassée. Langes du nourrisson, voile de noces, drap mortuaire, comme la cloche, on le retrouve inévitablement dans toutes les solennités humaines. Ici la modulation élégiaque se présentait d’elle-même, et Kerner ne pouvait manquer de la saisir. — D’où lui vient cette tristesse profonde, cette mélancolie incurable qui ne fait que varier ses tons ? Vous le demandez ? n’a-t-il pas vu l’instabilité de toute chose ? n’a-t-il pas contemplé à fond les misères de ce monde où la beauté se flétrit, où l’amour passe, où la jeunesse et le cœur s’effeuillent, où vous perdez chaque jour un des êtres qui vous sont chers, où l’on ne vit que dans le pressentiment de la mort ? — L’idée de sa propre mort le préoccupe et l’obsède, il se voit lui-même mourant, défunt, enseveli. Il se promène au bord de l’eau, il entend scier des planches, ces planches tombent une à une jusqu’à quatre, il y voit son cercueil, et le sapin, dont l’acier martyrise la chair, lui psalmodie aux oreilles ces paroles funèbres : « Tu viens à propos, passant, car c’est pour toi que je souffre cette mortelle blessure, c’est à la caisse qui doit t’enfermer dans le sein de la terre que ce bois est destiné ! » Il cherche à la fois la mort et la redoute, le grand peut-être l’épouvante : « Quand on s’enquiert des morts auprès de la nature, elle ne répond pas. »

Cet antagonisme de sensations contradictoires, humain autant que poétique, avec lui ne dépasse jamais la mesure. Ce vague désir, cet élan vers la mort ne dégénère point en mépris, en haine de l’existence, en négation systématique, absolue. Le sens profond qu’il a de la nature, une résignation pieuse, intelligente, éclairent de lueurs vaporeuses ses tristesses en apparence les plus sombres ; sa fantaisie et sa foi semblent attacher un nimbe de gloire à la mort elle-même.

Pour la forme proprement dite, Kerner est loin d’Uhland, plus loin encore de l’art exquis, du ciselé parfait de l’oriental Rückert, qui taille son vers à facettes comme un diamant, et dont la recherche et le fini dépassent parfois les conditions de la prosodie classique et touchent au précieux. L’expression chez Kerner sort trop souvent confuse, embarrassée ; la mesure, le rhythme, lui présentent des difficultés énormes que l’énergie de son sentiment et de sa pensée a toutes les peines du monde à surmonter ou plutôt à franchir ; de là des incohérences fréquentes, des charnières mal soudées, des soubresauts qui vous déconcertent. On compte dans ses poésies les pièces bien venues, d’un seul jet, et encore est-ce alors au poète inspiré, à