Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/665

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
659
ÉTUDES SUR LES TRAGIQUES GRECS.

les masques servaient à grossir la voix des acteurs ? Deux seuls écrivains, d’une époque récente, Aulu-Gelle[1] et Boëce[2], attribuent à la vaste ouverture de la bouche des masques la force de voix que déployaient les comédiens, et qui, suivant Cassiodore, semblait à peine pouvoir sortir de poitrines humaines. Cette assertion d’Aulu-Gelle, exprimée d’ailleurs en termes assez peu clairs, a suffi pour faire supposer à plusieurs critiques modernes, à Dubos[3], à Barthelemy, à Millin, etc., que les masques de théâtre, dont la matière n’est pas elle-même très bien connue[4], étaient garnis intérieurement de lames de cuivre, et furent plus tard incrustés d’une pierre que Pline appelle chalcophone (au son d’airain), et dont il conseille aux tragédiens de faire usage, tragœdis gestanda. Mais remarquons que ni Aulu-Gelle, ni, après lui, Boèce, ne parlent d’aucun appendice, d’aucune garniture ajoutée aux masques scéniques, et que ni Solin, qui vante cette pierre, ni Pline, qui la recommande aux comédiens, n’indiquent les moyens de tirer parti de sa merveilleuse propriété[5]. D’un autre côté, Ficoroni, ayant observé que, dans plusieurs anciens masques de théâtre, la bouche est arrondie en forme de coquille, avait pensé que cette disposition devait produire un effet analogue à celui de la trompette ou du porte-voix. Mais M. Mongez a très bien réfuté cette hypothèse : « Que l’on adapte, dit-il, le pavillon d’une trompette immédiatement à l’embouchure, en supprimant le tube intermédiaire, l’instrument rendra des sons à peine sensibles. Le porte-voix, même le plus court, est composé d’une embouchure, d’un tube et d’un pavillon. Il n’est donc pas probable qu’en donnant une forme évasée à la bouche des masques, les anciens aient eu le dessein d’augmenter le volume de la voix[6]. » Tout ce qu’on peut raisonnablement conclure de l’ouverture extraordinaire de la bouche des masques antiques, c’est que l’évasement qu’ils présentent servait à prévenir

  1. lib. V, cap. VII.
  2. Boet., De duabus naturis et una persona Christi, p. 950, Basil.
  3. Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, t. III, p. 203.
  4. On paraît s’être servi successivement du bois, du cuir et de la terre cuite.
  5. Plin., lib. XXXVII, cap. X, § 56. — Solin., cap. XXXVII. — Isidor., Origin., lib. XVI, cap. XIV.
  6. Mongez, Mémoire sur les harangues attribuées par les écrivains anciens aux orateurs, sur les masques antiques et sur les moyens que l’on a cru avoir été employés par les acteurs pour se faire entendre de tous les spectateurs, inséré dans les Mémoires de l’Institut national (Littérature et Beaux-Arts, t. V, p. 89 et suiv.). — M. Mongez avait été chargé, à la fin de l’an VI, avec huit autres membres de l’Institut, de faire des expériences au Champ de Mars, tendant à trouver le moyen de faire entendre les discours et la musique, dans les fêtes nationales, par