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glas, vint s’associer à l’élan national contre l’invasion britannique. Dans ses rangs étaient quatre frères du nom et du clan de Stutt, qui, après avoir vaillamment combattu pendant le cours de ces sanglantes guerres, servirent dans la garde écossaise de Charles VII et de Louis XI, reçurent la seigneurie d’Assay en Berri, et se fixèrent sur le sol qu’ils avaient glorieusement défendu. C’est du second d’entre eux, dont la postérité acquit plus tard, par alliance, la terre de Tracy en Nivernais, et s’établit dans le Bourbonnais, que descend M. Destutt de Tracy.

Fondée par les armes, cette famille ne cessa pas de suivre la carrière militaire avec distinction. Le bisaïeul de M. de Tracy était en 1676, avec Catinat, l’un des majors-généraux de l’infanterie de Louis XIV dans la guerre de Hollande. Son grand-père, entré de bonne heure au service, avait été réduit aussi à le quitter de bonne heure par la paix d’Utrecht. Lorsqu’après vingt-cinq ans de repos, la succession d’Autriche d’abord et la guerre de sept ans ensuite remirent l’Europe en armes, le père de M. de Tracy suivit l’exemple de ses ancêtres. Il se distingua dans les campagnes de Bohême et de Hanovre, et, en 1759, il commandait la gendarmerie du roi à la bataille de Minden. Dans cette journée funeste, voyant la victoire se déclarer pour l’armée du duc de Brunswick, dont les manœuvres étaient plus savantes et les feux plus pressés, il la chargea à la tête du corps d’élite qu’il avait sous ses ordres ; mais il tomba bientôt percé de plusieurs balles, et fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Enseveli sous un monceau de cadavres, il y fut découvert par un serviteur fidèle qui le transporta au camp sur ses épaules. Rappelé à la vie, après avoir langui et souffert deux ans, il succomba aux blessures dont il était couvert. Il vit approcher sa fin avec la fermeté d’un soldat et la résignation d’un chrétien, et, s’adressant à son fils à peine âgé de huit ans : — N’est-ce pas, Antoine, lui dit-il, que cela ne te fait pas peur et ne te dégoûtera pas du métier de ton père ? Le jeune enfant, que ce spectacle remplissait d’émotion et qu’animaient déjà les instincts belliqueux de sa race, pleura et promit, et son père mourut plus content.

Dès ce moment, sa mère se voua aux soins de son éducation, qu’elle s’attacha à rendre parfaite. C’était une personne grave, pieuse, qui avait le cœur haut, l’esprit cultivé, les goûts délicats, des manières extrêmement nobles. Jeune encore, belle et riche, sa main fut plusieurs fois recherchée ; mais elle aima mieux rester veuve pour se montrer entièrement mère. Elle s’établit à Paris afin de procurer à