Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/693

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
687
DESTUTT DE TRACY.

son fils, placé sous la direction d’un gouverneur habile, toute l’instruction qui pouvait le rendre un homme distingué à une époque où l’esprit comptait beaucoup plus que la naissance. Le jeune Tracy reçut de sa mère des sentimens exquis, et fit, sous l’impulsion de sa vigilante tendresse, d’excellentes études classiques. Il alla les compléter ensuite à l’université de Strasbourg, où se trouvaient alors des maîtres savans, une école d’artillerie célèbre, et où l’on enseignait tous les exercices du corps. La plupart des familles nobles y envoyaient leurs enfans pour se perfectionner et se préparer à la carrière des armes. M. de Tracy y devint un gentilhomme accompli ; il excella dans tout ce qu’on y apprenait. Personne ne maniait mieux un cheval, ne faisait plus habilement des armes, ne nageait plus intrépidement, ne tirait le fusil avec plus de justesse, ne lançait la paume avec plus de dextérité, ne dansait avec autant de grace. Le philosophe futur inventa même une contredanse qui porte encore son nom.

Après avoir achevé son éducation, M. de Tracy entra parmi les mousquetaires de la maison du roi. Il fut bientôt pourvu d’une compagnie dans le régiment Dauphin-cavalerie, et à l’âge de vingt-deux ans il devint colonel en second du régiment royal-cavalerie. Chaque année, il partageait son temps entre sa garnison, sa mère et ses grands parens, qui vivaient encore et habitaient le château de Paray-le-Frésil dans le Bourbonnais. Son grand-père avait servi dans les armées de Louis XIV ; sa grand’mère, fille du marquis de Druy, tué à la bataille de la Marsaille, et petite-nièce du célèbre Arnaud, n’avait pas quitté pendant soixante ans cet antique manoir des Tracy où elle avait porté les pieuses images et se plaisait dans les austères souvenirs de Port-Royal. Les deux vieillards conservaient fidèlement les traditions du grand siècle dont ils avaient vu les dernières lueurs. Ils recevaient avec une tendre satisfaction les visites de leur petit-fils, qui, trouvant auprès d’eux des habitudes simples, des mœurs saines, des vertus fortes, ouvrait son ame aux plus salutaires influences. Il achevait là cette solide éducation morale commencée auprès de sa mère, se formait encore mieux à l’ancienne politesse, à une sévère honnêteté, et l’on ne saurait douter qu’il n’ait en partie puisé dans les exemples de sa famille cette rare vigueur de caractère et cette délicatesse de sentimens qui l’ont soutenu durant ses diverses épreuves et qui ont honoré sa longue vie.

Tandis que les souvenirs d’un passé prêt à disparaître concouraient au développement moral de M. de Tracy, son esprit avait pris