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LETTRES DE CHINE.

compromet les intérêts sérieux du pays sans avoir la force ou la volonté de la mettre à exécution. Dans la déclaration du blocus de la rivière de Canton, le gouvernement anglais se trouvait-il dans cette situation ? Il faut, pour bien juger cette question, avoir une certaine connaissance topographique des lieux où la scène se passait. La rivière de Canton a, environ, trente lieues de large à son embouchure ; c’est donc plutôt un bras de mer qu’un fleuve ; ses eaux sont couvertes d’une multitude d’îles qui laissent partout entre elles un passage sûr aux navires qui entrent ou sortent. À l’ouest, et presqu’en dehors de ces îles, s’avance une presqu’île très étroite, à l’extrémité de laquelle est située la ville portugaise de Macao, qui s’étend sur l’une et sur l’autre rive. À l’est ou à gauche de Macao est l’immense nappe d’eau qui forme l’embouchure de la rivière, et qui, se rétrécissant peu à peu, vient aboutir au passage appelé le Bogue ou Boca-Tigris, par lequel on entre, à proprement dire, dans les eaux intérieures du fleuve ; à l’ouest ou à droite de la presqu’île est le port intérieur formé par quelques petites îles qui le protègent, et par le continent chinois. Les eaux qui baignent cette côte, resserrées par les terres, forment ce qu’on appelle le passage intérieur, qui vient se réunir au fleuve à quelques milles au-dessous de Canton. Or, en se tenant à la lettre de la déclaration du blocus, il était évident que le passage de Macao devait être compris dans le blocus général de toutes les entrées de la rivière. Il résultait de cette situation, ou que les navires de guerre anglais, pour rendre le blocus effectif, seraient obligés de commettre un acte d’hostilité, sans aucune provocation, contre un allié de leur gouvernement, car le gouvernement portugais n’eût sans doute pas permis à l’Angleterre de discuter la validité de son droit de possession, ou que le blocus serait incomplet, en ce sens qu’un des principaux passages du fleuve devait rester ouvert. Pour faire pénétrer les navires anglais dans le passage intérieur, il eût fallu, pour ainsi dire, passer sous les batteries portugaises, violer les droits du gouvernement portugais sur les eaux qui baignent son territoire et compromettre la neutralité dont la position de Macao, comme vous l’aurez vu par mes premières lettres, faisait une nécessité à la colonie. Faire avancer les navires jusqu’au-dessous de Macao, afin d’intercepter le passage des jonques chinoises, c’eût été bloquer la ville elle-même, et lui enlever non-seulement son commerce, mais encore ses moyens de subsistance. Nul doute que le gouvernement anglais n’eût toute la force nécessaire pour rendre aussi complet que possible le blocus de la rivière de Canton et de toutes ses entrées, y compris le passage de Macao : ni les Chinois, ni les Portugais n’eussent pu y mettre obstacle ; mais, outre la violation des droits dont je viens de parler, on se trouvait dans l’obligation, si on prenait cette mesure absolue, ou d’exposer à toutes les horreurs de la famine une population de douze à quinze mille habitans dont la moitié au moins sont sujets portugais, ou de nourrir un aussi grand nombre de bouches inutiles ; alternative à laquelle les agens anglais ne durent pas même penser.

D’ailleurs, si on considère quels devaient être les résultats matériels du blocus, il est impossible de ne pas rester convaincu que jamais il n’a pu entrer