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sition sur laquelle ils ne devaient pas compter, mais dont ils surent, à première vue, calculer tous les résultats.

Le commerce fut donc ouvert de nouveau, mais le fut-il comme avant le mois de mars 1839 ? Y eut-il échange de marchandises, c’est-à-dire achats et ventes ? Non. Les Chinois vendirent leurs thés à des prix très élevés, et ne voulurent recevoir en échange que de l’argent comptant. Les marchandises anglaises ne trouvèrent pas d’acheteurs, si ce n’est pour de très faibles quantités et à des prix tellement bas, qu’il eût mieux valu ne pas les vendre. Pendant les deux mois que dura ce calme entre deux tempêtes, les Anglais purent exporter en Angleterre environ vingt millions de livres de thé ; l’approvisionnement de la métropole se fit pour un espace de temps qui laissait au gouvernement une certaine latitude pour ses opérations à venir ; le fisc reçut son tribut accoutumé, et la responsabilité financière du ministère anglais fut garantie. Mais n’était-ce pas un peu aux dépens de cet honneur national ordinairement si chatouilleux, quoique évidemment moins susceptible que l’intérêt commercial ?

Les Chinois ne surent pas moins tirer parti de l’armistice. Les droits perçus sur la vente des thés, la vente même de cette denrée, rendirent plus abondantes les sources auxquelles le gouvernement pouvait puiser. De nouveaux canons furent fondus ; des troupes, appelées de toutes les parties de l’empire, vinrent garnir la province de Canton ; enfin, des préparatifs de défense et d’attaque furent faits sur tous les points. Ce fut pendant deux mois une situation dont les annales du monde n’offrent pas d’exemple, que celle de ces deux nations s’arrêtant d’un commun accord au milieu de leurs sanglans démêlés, l’une afin de vendre, l’autre pour acheter, se fournissant ainsi l’une à l’autre de nouveaux moyens de force, et sachant très bien à quoi s’en tenir sur leurs dispositions réciproques. Tandis que le commerce anglais, témoin journalier des préparatifs du gouvernement chinois, ne perdait pas un moment pour charger ses navires, les Chinois, réglant leurs affaires sur un avenir de quelques jours, et toujours prêts à changer de rôle au premier signal, comptaient, pour ainsi dire, les heures de ce repos qui leur semblait humiliant, et attendaient avec impatience que la dernière pierre de leurs fortifications fût posée, que leur dernier canon fût mis en batterie, pour commencer l’attaque. À cette époque, le commerce anglais ne fit pas entendre ces plaintes violentes qui accompagnaient ordinairement chaque mesure du plénipotentiaire ; il sentit que l’honneur national faisait un sacrifice en sa faveur, et il l’accepta avec résignation. Quelques voix opposantes s’élevèrent encore, il est vrai, mais avec modération, tant est puissant chez tout Anglais cet instinct du grand intérêt du pays, l’intérêt commercial.

Cependant les Anglais occupaient Hong-kong, y jetaient les fondemens d’une ville, et tout annonçait que l’Angleterre ou du moins son représentant voulait former sur cette île un établissement durable. Je vais profiter du repos que nous laisse en ce moment la trêve anglo-chinoise pour vous dire