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LETTRES DE CHINE.

tenu des garanties pour l’avenir ? Comment Elliot pouvait-il justifier cette rétractation solennelle de ces circulaires multipliées par lesquelles, pendant deux années, 1839 et 1840, il avait éloigné le commerce anglais de Canton ; protestant contre toute désobéissance à ses injonctions, et menaçant même d’en appuyer l’exécution par la force ? Je l’ai dit, l’intérêt commercial de son pays lui en faisait une loi. Les nécessités du fisc n’étaient pas moins impérieuses. À cette époque, il y avait dans la rivière de Canton quarante-quatre navires anglais jaugeant environ 23,000 tonneaux, et ayant à leur bord plus de 80 millions de propriétés anglaises. Laisser plus long-temps d’aussi graves intérêts en souffrance, c’eût été exposer le gouvernement anglais à de violentes récriminations de la part du commerce britannique. C’eût été d’ailleurs soumettre ce commerce à des pertes qui, ajoutées à toutes celles dont il avait été victime, eussent occasionné d’immenses désastres. En outre, l’exportation des thés avait été fort limitée pendant l’année qui venait de s’écouler, et le trésor devait attendre impatiemment ses rentrées habituelles Pour bien juger les évènemens qui viennent de se passer, de même que pour apprécier ceux qui les suivront, il faut avoir constamment ces considérations présentes à la pensée, et il y a lieu de croire qu’elles eurent une grande influence sur l’esprit du capitaine Elliot, puisqu’il ne craignit pas de donner un démenti à toute sa politique passée. Le commerce profita avidement de cette mesure, mais l’orgueil national s’en offensa ; on se représenta l’effet qu’elle devait produire sur le gouvernement chinois, et nous verrons bientôt que la faiblesse apparente du plénipotentiaire anglais fut mal interprétée à Pékin. Ce qui se passa dans le mois de mai dut convaincre l’Angleterre que la guerre entre elle et la Chine était, pour me servir des expressions presque littérales de l’empereur, un duel à mort. L’Angleterre, ou plutôt son représentant, en cédant aux exigences fiscales de sa position, plaçait son gouvernement dans une attitude peu honorable et peu digne d’une grande nation. Cette transaction était d’ailleurs empreinte d’une mauvaise foi évidente ; l’Angleterre se trouvait en présence d’un terrible dilemme : ou elle avait voulu la paix sans arrière-pensée, et alors que pouvait-elle répondre lorsqu’on lui demanderait compte des déclarations solennelles de la couronne, de son honneur souillé encore, à ses propres yeux, d’une tache qu’une expédition formidable était destinée à laver ? ou bien elle avait voulu seulement une suspension d’hostilités, afin de vendre quelques cargaisons de marchandises, avec l’intention cachée de recommencer la guerre aussitôt qu’elle n’aurait plus besoin de la paix. Quant aux Chinois, en acceptant cette transaction avec la volonté arrêtée de tromper leurs ennemis, ils se servirent de la seule arme du faible contre le fort, la ruse. Fatigués sans doute de cette lutte où ils voyaient chaque jour leurs meilleurs remparts s’écrouler sous les canons anglais et malgré leur vive résistance, les Chinois, peuple peu guerrier, mais fin temporiseur et très habile à profiter de tout ce que les délais, l’astuce et l’intrigue peuvent offrir de ressources, n’hésitèrent pas à accéder à une propo-