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LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

et je vais prendre congié d’elle. Je croy qu’elle le faict plus par obéissance que par voulenté, mais ils la tiennent fort subjecte. Et parlant à elle, le vis-roy[1] m’est venu quérir, et suis allée au logis de l’empereur, qui m’a mandée en sa chambre et m’a dit qu’il désirait vostre délivrance et parfaite amytié, et, pour la fin, s’est arresté sus le jugement de Bourgogne, c’est à savoir qu’il ne veult accepter pour juges vos pairs de France et court de parlement ; mais il désire que la chose se vuide par arbitres, et m’a priée d’en faire jetter demain quelque chose par escript, et que de sa part il commandera à son conseil pour trouver moyen d’amitié, et que nos gens ensemble en débattront demain et samedy ; je retourneray devers luy, et que, si ils ne se peuvent accorder, il fera chose dont je seray contente. Parquoy, monseigneur, suis contrainte d’attendre encores samedy, mais je vous envoye quelqu’un qui bien au long vous contera ce que demain et tous ces jours aura esté faict, afin que avant passer plus avant il vous plaise entendre les bons tours qu’ils nous font, et si sçay bien qu’ils ont grant peur que je m’en ennuye, car je leur donne à entendre que, s’ils ne font mieux, je m’en veux retourner. »

Peu s’en fallut qu’elle ne fût retenue prisonnière en Espagne. Charles-Quint, averti qu’elle emportait l’abdication du roi en faveur du dauphin, méditait de la faire arrêter, si trop confiante, elle laissait expirer le terme du sauf-conduit avant d’avoir franchi la frontière. Une lettre de Marguerite apprend que l’avis de ce projet fut donné à François Ier, qui le fit transmettre à sa sœur par Montmorency. On attribue ce bon office au connétable de Bourbon. Marguerite arriva à Salses (Pyrénées Orientales) une heure avant l’expiration du délai.

L’admiration profonde que Marguerite avait pour son frère se manifeste dans la lettre suivante, qui donne aussi des détails sur le camp d’Avignon, formé lors de l’invasion de la Provence et commandé par Anne de Montmorency : « Monseigneur, encores que ce ne soit à moy à louer une chose où mon estat me rent ignorante, si ne me puis-je garder de vous escripre que tous les capitaines m’ont assurée n’avoir jamais veu camp si fort et si à propous que cestuy-ci. Une chose ne puis-je ignorer, que c’est la plus nette place, fust-ce ung cabinet, que je vis oncques, remplie des plus beaaux hommes, en très grant nombre, les millieurs visages, les millieurs propous, monstrant l’envie qu’ils ont de vous faire service, que l’on sçauroit sou-

  1. Le vice-roi de Naples, Charles de Lannoy.