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que ombre de satisfaction. C’est tout autre chose d’avoir affaire à la réflexion ou à l’inspiration. »

« Vers le milieu d’avril, les répétitions commencèrent ; la représentation était promise pour le 23 mai, et cependant il s’en fallait encore de beaucoup que l’œuvre fût achevée. Le jour même de la répétition générale, la nouvelle ouverture (celle qui reste) était encore dans le cerveau du grand maître, in limbo patrum. Le matin même du jour de la représentation, on avait convoqué l’orchestre ; Beethoven n’arrivait pas. Enfin, après plus d’une heure d’attente et comme on perdait patience, je me rendis chez lui, bien décidé à l’amener de gré ou de force, mort ou vif. Je trouvai Beethoven endormi profondément sous une couverture de feuillets de musique qui jonchaient son lit et le carreau de la chambre. Sur une table auprès de lui était un verre encore rempli de vin, où trempait un biscuit ; je remarquai surtout le flambeau entièrement consumé. Beethoven avait passé la nuit au travail. Dès ce moment, il fallut renoncer à la symphonie nouvelle, qui, malgré toute la diligence du grand maître, se trouvait trop en retard pour être exécutée, et se contenter pour cette fois de son ouverture de Prométhée.

« On sait ce qui advint le soir. L’affluence était immense ; l’opéra fut rendu à merveille. Beethoven, debout au pupitre, dirigeait l’orchestre et les chanteurs avec cette conviction chaleureuse, ce feu génial qu’il mettait à toutes les choses de son art. Plus d’une fois même son enthousiasme l’entraîna si loin, qu’on eût risqué, à le suivre, de se voir jeter hors de la mesure. Heureusement le maître de chapelle Umlauff modérait derrière lui, du geste et du regard, et sans qu’il s’en aperçût, l’influence désastreuse que l’inspiration excentrique du grand homme aurait pu exercer sur les chœurs et l’orchestre. Un succès immense accueillit cette fois le chef-d’œuvre, dont la septième représentation fut donnée au bénéfice de Beethoven, le 18 juillet. Beethoven écrivit à cette occasion un second air pour Léonore et des couplets pour le geôlier, deux morceaux qui faisaient longueur, et qu’on a supprimés à bon droit de la partition telle qu’elle est restée au répertoire. »

En France, Fidelio eut aussi ses vicissitudes. Sans la Société des Concerts et M. Habeneck, il aurait bien pu se faire que notre admiration pour cette grande œuvre musicale eût tardé plus long-temps encore à se développer. À tout prendre, c’était au Conservatoire, dans le sanctuaire de la musique instrumentale, que l’enthousiasme de la France pour la partition de Beethoven devait s’élaborer. Qu’est-ce en effet que Fidelio, sinon une magnifique symphonie dialoguée ? On a dit que le Stabat de Rossini affectait les formes dramatiques dans ses plus religieuses velléités, et que la musique d’église de l’illustre auteur de Semiramide et de Guillaume Tell était tout simplement de la musique d’opéra ; je le veux bien, mais on ne me contestera pas du moins que Beethoven à son tour n’ait écrit dans Fidelio qu’une œuvre instrumentale, qu’une imposante et pathétique symphonie ayant des voix humaines pour surcroît d’instrumens, où le ténor, le soprano, la basse et le baryton