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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/909

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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Il y a entre ces postes et les stations kosaques des lignes de Pologne et du Caucase une analogie singulière qui saisit vivement le voyageur. En Bulgarie comme dans les provinces russes, l’institution de ces lignes militaires prouve l’occupation violente d’un pays subjugué, mais non soumis.

De Nicha, ville moitié serbe, une drome, prétendue grande route, mène à Sofia. C’est en suivant ce chemin qu’on pénètre dans la Bulgarie centrale, province dont les hauts balkans servent de refuge aux haïdouks. Pour franchir le premier de ces balkans, on traverse des gorges qui ne présentent qu’un amas de roches brisées et des forêts sombres, où deux chevaux ne pourraient suivre de front le même sentier. Ce défilé est gardé par la citadelle d’Ak-palanka (la forteresse blanche, c’est-à-dire imprenable). Cette forteresse est extérieurement un des types les plus parfaits du castel byzantin : c’est un quadrilatère en grosses pierres de taille, flanqué de huit tours rondes très élevées, avec un rempart dont des créneaux carrés dessinent le pourtour. Cette bicoque, dont deux canons rouillés défendent la porte unique, n’est plus à l’intérieur qu’un labyrinthe infect de ruelles serpentant entre des jardins fermés de planches et des huttes dont on cherche en vain les fenêtres ou les portes : pas une créature n’apparaît dans les rues d’Ak-palanka, mais l’infection de l’air suffit pour y révéler la présence de ménages musulmans. Tel est l’état d’isolement lugubre où vivent les maîtres de la Bulgarie. Sur les bords du torrent qui coule au pied de la colline sont semées des chapelles funéraires de héros ou de saints turcs. Dans ces petites chambres carrées, une lampe est suspendue au-dessus de la tombe, qui est en bois et sans nul ornement, comme celle des Tatars et des Moscovites. Quelquefois deux chandeliers bordent l’estrade du tombeau ; on y trouve aussi une amphore destinée à servir aux ablutions du pèlerin ou de l’iman qui viennent y faire leur prière ; la fenêtre grillée du sépulcre donne sur la grand’route, et des murs jaillit le plus souvent une fontaine pour rafraîchir le voyageur.

On laisse à gauche dans les montagnes la fameuse citadelle de Pirot ou Jarkoï, dont la partie basse renferme six à huit mille habitans, et l’on arrive au village de Tsaribrod par une longue vallée remplie de prairies, de vignobles, de champs de maïs, et entourée de rochers arides. La vallée s’élargit graduellement, les deux chaînes de montagnes s’éparpillent en mamelons isolés, que terminent des cimes dépouillées. Les hanes, d’abord assez fréquens sur cette route, deviennent plus rares à mesure qu’on approche de Sofia ; des pla-