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teaux immenses, formés de la plus riche terre végétale, servent uniquement de pâturages. Cependant, contre l’ordinaire des villes turques, Sofia a livré à la culture du blé et d’autres denrées les cinq ou six lieues de pays qui l’environnent ; il faut excepter toutefois l’espace d’une lieue autour de son enceinte, qui est resté un véritable désert ; pas un arbre, pas une haie n’anime la tristesse de cette plaine nue ; seulement, à l’horizon, un cercle de balkans, dominé par le Vitch, élève ses cônes de granit. Du sein de cette majestueuse solitude, qui environne tout campement turc, surgissent soudain comme par enchantement les innombrables coupoles et les minarets de la cité. Du lieu où, pour la première fois, on découvre Sofia, le voyageur a encore à franchir une distance d’une heure de marche avant d’arriver à la ville même. Pendant ce trajet, il ne remarque autour de lui que des rangées de tombeaux et de colonnes funéraires avec des turbans pour chapiteaux. Ce calme, cet isolement aux approches d’une grande ville, glacent l’ame et font penser à la Jérusalem désolée des prophètes.

Voilà donc la triste capitale d’une nation chrétienne, esclave depuis quatre cents ans. Dans cet état même d’abaissement et de misère, Sofia est encore une des premières villes de Turquie ; avant la dernière peste, elle renfermait cinquante mille habitans, sans compter la garnison. On y entre par une porte de bois basse et délabrée, et par un petit pont turc jeté sur l’Isker, affluent du Danube, qui coule presque à sec dans un lit de rochers profondément encaissé. Si les rois bulgares tenaient leur cour à Ternov, la nation tenait la sienne à Sofia ; de majestueux débris l’attestent. L’ancien entrepôt des marchandises que les caravanes bulgares transportaient de l’Asie en Europe, offre encore des restes aussi imposans que ceux d’un amphithéâtre romain : c’est un vaste carré bordé de trois superbes rangs de galeries voûtées et superposées ; la voûte supérieure est en partie écroulée, mais les autres en grosses pierres granitiques sont intactes. À ce beau temple de l’ancien commerce oriental s’appuient les murs de bois de la tcharchia ou du bazar moderne. Les boutiques de cet immense quartier sont aux trois quarts occupées par des Bulgares ; les autres marchands du bazar sont Arméniens ou Turcs. On rencontre aussi à Sofia beaucoup de riches juifs ; leurs femmes, voluptueusement parées, marchent comme des prêtresses antiques, la tête couverte d’une longue mitre ogivale blanche à rubans rouges, d’où un grand voile de gaze tombe sur leur sein demi-nu.

Quoique bâties en terre glaise, les maisons des Bulgares de Sofia