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surface du sol ; elle n’est plus enfouie, il ne faut plus de degrés pour y descendre, comme sur les bords du Danube ou entre Nicha et Philibé. Les Bulgares qui habitent ces villages sont plus fiers, plus spirituels, plus poétiques que leurs frères du nord. La théocratie même perd chez eux de sa puissance ; le Christos pomoji (que le Christ l’aide) et autres saluts du nord sont remplacés par des paroles moins dévotes. Les mœurs prennent, si j’ose le dire, quelque chose de plus mondain : la femme aux longs cheveux gracieusement épars vous salue la première, ce qu’elle n’oserait faire dans le nord. Cette influence exercée par la Grèce s’étend aux femmes de Romélie. Elles sont plus belles, plus sveltes que celles du Balkan. En voyant marcher d’un pas si léger les jeunes Roméliotes, une rose attachée au-dessus de leur voile flottant, on sent que la terre des muses est proche.

La France ne saurait trop encourager le penchant naturel qui porte les Bulgares vers la Grèce. Si des évènemens prématurés allaient jamais jusqu’à nécessiter l’érection de la Bulgarie en un état libre et seulement annexé à l’empire turc, même avant que la Maritsa eût été rendue navigable et que Philibé fût devenue accessible aux bateaux à vapeur, la diplomatie devrait surtout insister pour fixer sur les côtes de l’Archipel la place de la capitale bulgare. Salonik est à cet effet merveilleusement disposée ; c’est une capitale toute faite, qui deviendrait en peu de temps la digne rivale d’Athènes et l’emporterait bientôt sur Boukarest et Belgrad, ces deux protégées du czar.

La Russie, il ne faut pas l’oublier, cherche tous les moyens de s’établir en Bulgarie. Nous ignorons trop qu’aux yeux des Russes, tout Bulgare passe pour un ancien concitoyen, pour un émigré de la Russie, qui doit être restitué à sa patrie primitive. Parmi les titres nombreux du czar, un des plus anciens est celui de prince des Bulgares, et les patriotes russes ne manquent pas de rappeler souvent ce titre à leur doux maître. Il est donc urgent d’agir en faveur des Slaves de Turquie, si l’on ne veut pas qu’ils s’adressent à l’autocrate. Pour une foule d’entre eux, Belgrad est la cité modèle, le fanal de l’avenir. Un parti croissant chez les Bulgares répète sans cesse : Faisons comme les Serbes, c’est-à-dire, appelons pour nous émanciper le protectorat moscovite. Cependant il est remarquable que les Bulgares les plus libres soient précisément ceux des districts les plus éloignés de la frontière russe. Ces infortunés, qui poussent la folie jusqu’à prier dans leurs églises pour le retour et l’établissement des Russes au sein