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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/982

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beaux-arts, un poème sur l’Art du dessinateur de fabrique. Dans la partie didactique, la stratégie a aussi fourni son contingent d’inspirations, et l’école du peloton ou la charge en douze temps ont été chantées dans la langue des dieux.

Il faut être juste cependant : sur le Parnasse classique, il y a eu aussi, par momens, de grandes témérités, et les montagnards de ce parti littéraire se sont aventurés dans des voies nouvelles ; il en est même qui ont poussé l’audace jusqu’à supprimer l’épisode, jusqu’à se permettre l’enjambement. Littérateurs honnêtes et inoffensifs, ils parlent de la guerre du romantisme avec effroi, comme on parlait au ixe siècle des invasions des Normands ; le bruit de la bataille les poursuit comme le roi Rodrigue après la défaite de Xérès, et ils pensent faire aux admirations contemporaines une large concession en reconnaissant qu’il y a dans M. Hugo des vers bien faits et des rimes très riches.

Napoléon, qui domine dans le siècle, domine aussi dans les poèmes ; il s’est transfiguré, comme Alexandre ou Charlemagne, en demi-dieu épique. Tantôt c’est une biographie complète ; l’auteur prend le héros à sa naissance, vagissant sur la prophétique tapisserie d’Ajaccio, et l’escorte jusqu’à la chaloupe du Bellérophon, jusqu’à la pierre de la vallée de Longwood. Tantôt il choisit dans cette vie éclatante quelque épisode immortel, Marengo ou Mont-Saint-Jean, les triomphes de l’Italie ou les désastres du Nord ; mais l’épopée, en chantant le grand homme, s’élève à peine jusqu’à la prose du Moniteur. Achille n’a point encore trouvé son Homère.

La métaphysique et la cosmogonie ont attiré à leurs spéculations transcendantes, et toujours dans le genre classique, quelques poètes qui voulaient, comme Lucrèce, parcourir sur les ailes de la muse les champs de l’infini. Mais Lucrèce avait raison, lorsqu’à propos des secrets physiques révélés par le philosophe d’Agrigente, il disait en beaux vers qu’il est difficile à la poésie de chanter les découvertes obscures des Grecs. Depuis le disciple d’Empédocle, la science a marché, mais la poésie, qui célèbre les mystères de la nature, n’a point marché comme la science. Le panthéisme naturaliste de l’antiquité prêtait à l’enthousiasme ; l’esprit observateur et positif des temps modernes ne prête qu’à l’expérimentation. S’il a produit de savans mémoires, jusqu’à présent il n’a inspiré que des poèmes d’une valeur fort contestable, même pour les plus indulgens ; voici un échantillon, emprunté à l’une de ces productions ignorées, la Théorie physique de l’univers. Il s’agit des marées :

Ainsi quand du reflux l’angle sphéroïdal
Se trouvera conduit dans un plan vertical,
Sous les feux du soleil une basse marée
Aura lieu sur les bords de la zone pétrée.

Un autre poème du même genre, l’Éternité du monde, offre les mêmes agrémens de style et de pensée ; ce poème a cela de curieux, qu’il nous reporte, dans le passé, à plusieurs siècles de distance. Ici nous nous inspirons de la