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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/989

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STATISTIQUE LITTÉRAIRE.

Notons encore, en fait de poésie érotique, le genre qu’on pourrait appeler érotique-descriptif, et qui consiste à peindre des Andalouses ou des mahométanes. Les types sont peu variés : l’Andalouse est brune et jalouse, ses yeux lancent des éclairs, et elle donne des coups de poignard ; la mahométane est gardée par des spahis et fume le narguilhé. Le pinceau des maîtres avait tracé dans ce genre quelques gracieuses figures, mais Dieu sait ce que leurs imitateurs ont barbouillé en fait de sultanes et d’Espagnoles !

La poésie érotique-conjugale a aussi donné quelques pages. Tandis que d’aventureux touristes couraient les Dardanelles ou la Sierra, à la recherche de beautés nouvelles et inconnues, de bons maris, rentiers paisibles, chantaient l’amour sédentaire légitimé par l’état civil. L’élégie conjugale, on le devine, est d’un calme parfait ; elle est tranquille comme ces nuits sereines de la lune de miel, qui ne brillent qu’une fois, même pour les plus heureux ; elle est honnête comme ces égléides que Poinsinet de Sivry rimait à son adorable inhumaine. Mais il faut partout des contrastes ; les roués coudoient les maris, et nous avons aussi la poésie des roués. On retrouve là un pastiche plus ou moins fidèle des formes cavalières du XVIe siècle. Il ne s’agit plus de sensitives, mais de femmes d’opéra. On ne prie plus, on boit et on chante, et le sans-façon est même poussé si loin, que le poète dit, en trinquant avec sa belle, dont l’orgie a dénoué les tresses :

Va ! va ! laisse tomber tes cheveux dans ton verre.

Du reste, ce laisser-aller est une exception, et la poésie du cœur, comme on dit, est ordinairement d’une irréprochable moralité.

Les tendres rêveurs, qui sont si profondément, si intimement sensibles à l’infini des yeux, ne sont pas moins sensibles à l’infini des mers, à l’infini du ciel, à l’infini des lacs, à l’infini des bois, à l’infini des champs, surtout lorsque les champs sont couverts de neige. Et les champs, les bois, les astres, la mer, n’ont pas inspiré moins de quinze cents pièces, qui reproduisent invariablement les mêmes idées, le même style, sous des titres toujours pareils. Certes, c’est là un admirable spectacle ; mais plus il est sublime, plus il faut que la poésie qui le célèbre soit puissante et forte, car l’art n’est pas l’imitation de la nature, il en est l’idéalisation ; et, pour traduire dignement en langage humain le langage mystérieux des flots et des vents, il faut plus que la faculté d’admirer : il faut cet instrument sonore qui vibre dans l’ame des grands artistes. Malheureusement les artistes qui nous occupent sont en général des daguerréotypes fort embrouillés de cet infini dont ils abusent. La chute est complète, parce qu’on vise au lyrisme, au grandiose. Avec moins de prétentions peut-être, on eût rencontré, dans une veine plus humble, quelques hasards de verve et cette page heureuse qui sauve un nom. Mais, en voyant les prophètes, montés comme Élysée sur leur char de feu, s’approcher du soleil, on veut les suivre, et les ailes fondent. C’est la mythologique aventure d’Icare, le vieil apologue du papillon qui se brûle à la lumière.

Ce fleuve de la poésie rêveuse et contemplative qui a rompu toutes les