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REVUE. — CHRONIQUE.

(mores et juifs) et l’insoumission des tribus arabes qui le parcourent rendent excessivement périlleux à traverser. Les Européens ne s’y hasardent guère, à moins qu’une profonde connaissance des habitudes nationales et de l’idiome indigène ne leur permette de se faire passer pour mahométans. Un antiquaire y trouverait des trésors, car il est semé de ruines classiques. La diversité des mœurs, les différences profondes qui séparent l’habitant des villes de l’habitant des campagnes, pourraient et devraient fournir d’inestimables observations ethnographiques. Plus instruit et plus attentif, M. Scott eût profité de toutes les circonstances favorables qui lui facilitaient l’exploration de cette curieuse contrée. Sur le territoire de Maroc, il était traité comme officier d’un allié de l’empereur ; une fois dans les domaines d’Abd-el-Kader, il voyageait investi d’une portion de l’autorité publique, et partout, à ce double titre, il voyait les obstacles s’aplanir devant lui. Par malheur le colonel n’est rien moins que curieux d’antiquités, et quant à ses observations personnelles, elles sont en général d’un ordre assez vulgaire. Nous lui devrons cependant de savoir ce que vaut au juste un firman de l’empereur remis entre bonnes mains. MM. Mannucci et Scott avaient droit, en vertu du rescrit impérial, à être logés et nourris gratuitement partout où ils passaient ; mais le préjugé populaire qui, dans ce pays, pèse aussi bien sur les chrétiens que sur les juifs, eût annulé en leurs mains les priviléges de ce passeport, s’ils ne s’en étaient servis dès le principe avec une grande rigueur. Plus avisés que scrupuleux, nos voyageurs ne s’en firent faute, et maintinrent une discipline sévère soit parmi les gens de l’escorte, soit dans les maisons où ils reçurent une hospitalité forcée. Quelques exemples pris au hasard nous donneront une idée de leur méthode. Le chargé d’affaires d’Abd-el-Kader était un jour dans sa tente, en compagnie d’une jeune dame espagnole, et l’un des Arabes se permit, à ce sujet, une observation que M. Scott ne rapporte pas textuellement, mais qui devait être passablement outrageante, à n’en juger que par l’indignation de M. Mannucci.

« Mon ami, qui, je l’ai dit, sait parfaitement la langue du pays, se leva aussitôt et courut souffleter l’insolent. Celui-ci, qui tenait un bâton à la main, riposta par un coup bien appliqué ; Raphaël, le domestique de Mannucci, voyant son maître frappé, tira aussitôt sa baïonnette dont il perça deux ou trois fois le malencontreux Arabe ; il l’aurait inévitablement dépêché à l’espagnole, si les assistans n’étaient accourus pour dérober le malheureux à sa fureur. L’officier, immédiatement prévenu, fit mettre le blessé aux fers, et il informa la tribu que, si M. Mannucci lui-même ne consentait à ce qu’il fût relâché, il serait obligé de l’emmener prisonnier à Fez, et de le mettre à la disposition de l’empereur. Bientôt après nous vîmes arriver tous les parens et amis du prisonnier qui nous apportaient de la volaille, des œufs, etc., pour obtenir qu’on le dispensât d’un si périlleux voyage. Ils l’excusaient sur ce que l’insulte avait été faite sans réflexion et faute de savoir qui nous étions. Nous refusâmes leurs présens, et, sur le soir, nous fîmes donner la liberté au prisonnier après lui avoir fait, au préalable, administrer cinquante coups de