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résultat, ce résultat avait été à l’avance déclaré impossible, et la réalité était venue toujours confirmer ces faciles prédictions. Enfin les invectives de la presse, les cris de détresse du commerce britannique, les graves inconvéniens d’un blocus incomplet et cependant fatal aux intérêts de ce commerce, l’impatience si naturelle au milieu de toutes ces longueurs, l’amertume du désappointement, leur propre inclination, tout avait poussé les agens anglais à tenter un coup décisif. Le pavillon de la Grande-Bretagne avait été arboré successivement sur toutes les défenses de la rivière, et ces efforts n’avaient abouti qu’à obtenir la singulière situation à laquelle l’attaque des Chinois était venue mettre prématurément un terme. Les plénipotentiaires durent naturellement se demander quelles pourraient être les conséquences de l’occupation de Canton par une armée anglaise, et l’expérience qu’ils venaient d’acquérir de la politique et du caractère chinois dut leur démontrer que ces conséquences ne pouvaient qu’être funestes à la cause qu’ils voulaient faire triompher. En un mot, il devait être évident pour le capitaine Elliot qu’une ville d’un million d’ames, remplie d’une populace qui n’attendait que le signal du pillage, avec une armée de trente mille Tartares dans son voisinage, ne pouvait être occupée par une armée ennemie sans actes de violence. Or, c’eût été fermer pour bien long-temps les voies à toute transaction commerciale ; c’eût été détruire de sa propre main l’entrepôt de son commerce actuel et probablement aussi du commerce à venir. Les tentatives qu’on avait faites pendant l’occupation de Chu-san pour y attirer les marchands chinois avaient prouvé que tout commerce immédiat avec la côte était impossible, et que ce n’était qu’à Canton qu’on pouvait espérer de trouver les Chinois disposés à transiger avec la haine nationale. La ville de Canton était, d’ailleurs, quelle que fût son importance réelle, trop éloignée du cœur de l’empire pour que le coup qui la détruirait pût exercer une influence décisive sur la volonté exprimée par Pékin de ne pas céder. Déjà l’empereur avait violemment blâmé Kerchen d’avoir usé de ménagemens avec les barbares dans la crainte que Canton ne fût détruit. Les richesses appartenant au gouvernement en avaient été enlevées depuis long-temps, et les autorités chinoises ne consentirent probablement au paiement des six millions de piastres que parce qu’elles avaient calculé que leur responsabilité serait bien moins compromise par ce sacrifice que par la destruction de la ville. Les hanistes avaient dû, d’ailleurs, exercer une grande influence sur cette décision ; leur offre de payer la plus grande partie de la rançon, combinée avec l’éloignement convenu des forces anglaises, et la terreur que devait naturellement inspirer un nouveau conflit avec un ennemi dont la supériorité devenait si évidente, avaient sans doute fait pencher la balance en faveur d’une transaction.

En occupant définitivement Canton, le plénipotentiaire anglais s’enlevait, du reste, tout moyen d’action ultérieure ; il ne pouvait disposer que de trois ou quatre mille hommes de débarquement ; c’eût été à peine suffisant, même en faisant une large part à la lâcheté chinoise, pour garder la ville sans s’exposer aux dangers d’un coup de main. La brûler et la livrer au pillage aurait