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LETTRES DE CHINE.

qu’on respecterait la propriété particulière, et cependant on permettait au gouvernement chinois de prélever sur le commerce étranger des droits d’entrée et de sortie très élevés ; on lui donnait ainsi le moyen de réparer ses pertes et de se créer des ressources pour l’avenir, tandis qu’on saisissait au passage les navires marchands qui, sur la foi des traités et trompés par l’attitude pacifique de l’ennemi, tombaient dans le piége qu’on leur tendait. N’était-ce pas là une espèce de guet-apens, et une semblable manière de faire la guerre est-elle digne d’une grande nation ? L’honneur anglais sortait-il plus pur de cette nouvelle épreuve que lorsqu’il était confié aux soins de l’honorable M. Elliot ? Nous retrouvons dans la situation actuelle tous les traits qui nous ont déjà frappés dans le récit des évènemens de l’année dernière ; seulement je préférais la position telle que M. Elliot l’avait faite à celle que je viens de retracer. Remarquez encore que la saisie des jonques chinoises a lieu sans que la rivière de Canton soit déclarée en état de blocus, sans qu’il y ait eu, à cet effet, communication écrite ou verbale entre les autorités chinoises et les autorités anglaises ; tout cela s’est fait comme d’un commun accord. À peine les navires anglais s’étaient-ils retirés des eaux intérieures de la rivière de Canton, que les Chinois, comme je l’ai dit, sous prétexte de l’occupation d’Hong-Kong par les Anglais, préparaient de nouveau leurs moyens de défense ; et c’est pour punir le gouvernement chinois de cette violation apparente des clauses de la convention de mai, que les Anglais s’emparent des navires de pauvres marchands qui ignorent complètement les lois cruelles de la guerre. C’est là, à mon avis, une mauvaise politique, et dont M. Elliot avait eu au moins le bonheur de prévoir les funestes conséquences.

Nous sommes obligés de nous arrêter ici, monsieur ; nous sommes arrivés au terme de ce qui est connu jusqu’à présent des détails de cette grave question. Nous reprendrons le cours des évènemens à mesure qu’ils se développeront. Trois ans se sont déjà écoulés depuis que la lutte entre les deux plus puissantes fractions de l’Orient et de l’Occident a commencé, lutte pendant laquelle chacune des deux parties belligérantes a fait les plus grands sacrifices. Quelles en ont été jusqu’ici les conséquences ?

En 1839, le combat s’engage ; mais les Chinois surprennent les Anglais au milieu de leur sécurité. Une valeur de 70 millions de francs de propriété anglaise est saisie par Lin ; la rivière de Canton est bloquée par les Anglais ; on peut évaluer en outre à plus de 50 millions les pertes éprouvées par le commerce anglais dans le cours de cette année. Quelques escarmouches ont lieu qui ne produisent aucun résultat.

En 1840, l’Angleterre envoie une expédition en Chine. Le troisième blocus de la rivière de Canton est déclaré ; les troupes anglaises s’emparent de Chusan, remontent jusqu’à l’embouchure du Pei-ho, en sont éloignées par l’habileté des diplomates chinois et reviennent à Canton. Sept à huit cents soldats anglais périssent victimes du climat et de la mauvaise administration qui a présidé aux approvisionnemens de l’armée ; le commerce anglais voit se renouveler