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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

obtenir des sujets de choix, les Solariens ne reculent pas même devant la promiscuité ; Campanella les excuse avec l’autorité de Socrate, de Caton, de saint Clément, de saint Augustin. Comme Morus, le moine de la Calabre ne veut pas que l’argent monnayé ait cours dans sa ville imaginaire ; il admet seulement qu’il puisse servir aux échanges avec l’étranger. Les champs qui entourent la Cité du Soleil ne sont pas fécondés au moyen de matières en décomposition ; les habitans ont d’autres engrais plus actifs, plus sains, et qui ne communiquent pas à la végétation des miasmes pestilentiels. Pour ce travail, ils tirent un grand parti de l’observation sidérale ; les cieux, à leur sens, sont un livre où se trouve écrite la solution de tous les problèmes. Aussi l’astrologie occupe-t-elle une place étendue dans l’œuvre du dominicain.

On peut entrevoir déjà comment, dans ces créations chimériques, le plagiat, même dès l’origine, prévaut et s’établit. La fiction de Platon, prise comme point de départ se réfléchit dans celle de Morus, et Morus, à son tour, déteint pour ainsi dire sur Campanella[1]. Les analogies sont d’autant plus saillantes, que la scène se passe hors de la région des réalités. Ce caractère se retrouve dans une série de compositions identiques, sur lesquelles il est sans intérêt de s’appesantir. Dans le nombre figure l’Oceana d’Harrington, qui, sous Cromwell, et avec une république en cours d’expérience, traça le programme d’une république imaginaire, ce qui faisait dire à Montesquieu « qu’il avait bâti Chalcédoine ayant le rivage de Byzance devant les yeux. » Au même titre on peut citer Jean Bodin, esprit à la fois sceptique et crédule, qui, vers, 1576, publia un livre intitulé De la République, écrit au milieu des troubles de la ligue, et empreint d’une tolérance fort rare en ces temps passionnés. Ni Bodin, ni Harrington, ne poussent aussi loin les choses que le chancelier d’Angleterre et le moine de la Calabre ; mais, sur bien des points encore, il y a imitation. On en peut dire autant d’une foule d’autres républiques imaginaires, comme celle des Ajaïoiens, qu’on croit être l’œuvre de Fontenelle, celle des Sevarambes (Bruxelles, 1677), celle des Cessarès (Londres, 1764), celle des Abeilles, qui fit quelque bruit dans le courant du siècle dernier. Dans plusieurs parties, le Miroir d’or de Wieland incline vers ces idées, qui se retrouvent encore, sous une forme précise et dogmatique, dans le Catéchisme de Boisset et dans le Code de la Nature, livre long-temps attribué à Diderot, mais qui

  1. LUtopie de Morus est de 1518 ; la Cité du Soleil de Campanella est de 1637.