Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
REVUE DES DEUX MONDES.

portes, ou même qu’effrayé des conséquences que pourraient entraîner des hostilités dirigées contre sa capitale, il annonçât au plénipotentiaire anglais qu’il est prêt à traiter avec lui. Allons plus loin : supposons le plénipotentiaire assis à la même table que l’empereur et lui dictant les clauses d’un traité que celui-ci signerait sans hésiter, et par lequel toutes les satisfactions, tous les avantages commerciaux et politiques que l’Angleterre peut espérer, lui seraient volontairement accordés ; qu’adviendrait-il ? Qui répondrait aux agens anglais de la bonne foi du souverain de l’empire céleste ? Quelles garanties pourraient-ils exiger pour l’avenir ? La cession de quelques points sur la côte ? Mais l’Angleterre les possède déjà, et le pavillon britannique est comme un épouvantail pour les populations. L’escadre anglaise ne pourrait certainement pas prolonger très long-temps son séjour dans la mer de Chine ; d’autres intérêts l’appellent impérieusement ailleurs ; l’Angleterre a besoin de toutes ses forces dans l’Inde, et elle s’affaiblit trop en les divisant. Au bout d’un an, de deux ans peut-être, une simple station resterait sur la côte, et croit-on que, lorsque l’empereur ne serait plus retenu par la crainte des vaisseaux anglais il hésiterait long-temps à renverser tout d’un coup un édifice qui leur aurait coûté tant d’années et tant de sacrifices à construire ? Certes, on connaît assez les Chinois aujourd’hui pour pouvoir au moins penser qu’une signature apposée au bas d’un traité n’arrêterait pas long-temps le cabinet de Pékin. Il faudrait donc envoyer en Chine une seconde, puis une troisième expédition. Mais ici nous nous trouvons jetés dans des hypothèses dont les bases sont si peu certaines, que la prévision a peine à les atteindre.

Nous avons parlé d’un autre moyen d’action que le plénipotentiaire anglais peut encore employer pendant la campagne qui va s’ouvrir. Nous avons dit qu’on pourrait pousser jusqu’au bout les conséquences du système qu’on a suivi jusqu’ici. Ainsi les Anglais, maîtres déjà d’Amoy et de Ning-po, porteraient d’abord leurs armes vers Hang-chou-fou, ville très commerçante et très riche, située par 30° 25′ de latitude, et dont l’accès, difficile par la rivière, est plus facile par un canal qui longe la côte et qui commence à Cha-po. De là l’escadre anglaise remonterait la côte jusqu’à la rivière de Yang-tse-kiang, et les bateaux tirant peu d’eau pourraient arriver, dit-on, jusqu’à Nankin, la capitale de la Chine proprement dite et la ville la plus riche de l’empire[1]. L’Angleterre tiendrait ainsi entre ses mains tout le littoral de la Chine et ruinerait complètement son commerce. Peut-être même l’armée anglaise parviendrait-elle à extorquer aux populations effrayées des grandes villes du littoral quelques sommes d’argent mais ce serait là un avantage tout-à-fait secondaire ce n’est pas pour rançonner des villes que l’Angleterre lutte avec la Chine,

  1. Nanking est la ville chinoise où l’industrie est le plus avancée : c’est à Nanking qu’on fabrique toutes les belles soieries que nous admirons à Canton : c’est de là que viennent, disent les Chinois, tout ce qui se fabrique de beau et de riche en Chine. Les Chinois appellent cette ville le paradis terrestre.