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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/139

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LETTRES DE CHINE.

lement politique, si forte même de son ignorance des choses du dehors et de ses préjugés ; c’est cette masse épaisse qu’il faut percer. L’entreprise est gigantesque ; l’Angleterre seule pouvait la concevoir, l’Angleterre seule avait, en s’y livrant avec toutes ses forces et son énergique persévérance, des chances de succès. Si elle n’est pas arrêtée par quelqu’une de ces grandes commotions politiques qu’on ne peut prévoir, si on lui laisse le temps de saper peu à peu les fondemens de cette vieille société chinoise, le succès ne lui fera pas défaut. Elle sèmera long-temps peut-être avant de recueillir, mais la récolte paiera à la fin de tous ses sacrifices.

Dans tous les cas, l’empire chinois est ébranlé, le prestige que le chef mystérieux de la céleste dynastie exerçait sur la population commence à se dissiper. Les habitans du littoral savent aujourd’hui que la Chine n’est pas le monde, et qu’il existe en dehors de la Chine des nations fortes et puissantes. De là à savoir qu’elles pourraient trouver chez ces nations des auxiliaires dans les efforts qu’elles tenteraient pour se soustraire au joug qui les opprime, il n’y a qu’un pas. On trouve toujours chez les masses un instinct d’indépendance qui ne demande qu’à être réveillé. Les Chinois sont un peuple froid, calculateur, qui ne peut manquer à la longue de voir qu’il a tout à gagner à cette grande révolution, dans laquelle son gouvernement aurait tout à perdre. L’orgueil national, si long-temps nourri de l’humiliation des barbares, résistera, mais cette barrière elle-même s’abaissera peu à peu devant l’expérience de la supériorité pratique des étrangers. Cependant, il faut l’avouer, une révolution comme celle dont je parle, une révolution qui remuera trois cents millions d’hommes, ne peut pas être l’œuvre de quelques années. Chez nous, les évènemens marchent vite, parce que toutes les questions étaient mûres depuis long-temps ; mais en Chine on n’en est pas encore là, la Chine n’en est pas à son xixe siècle. Il faut donc laisser à la Providence le soin d’accomplir l’œuvre qu’elle a commencée. Qu’elle prenne l’Angleterre pour instrument jusqu’au bout, ou qu’après l’avoir usée, elle marche vers son but par d’autres moyens que nous ne prévoyons pas ; toujours est-il certain qu’elle l’atteindra tôt ou tard.

Quelle que soit l’obscurité presque impénétrable que présente l’avenir de la grande question qui nous a si long-temps occupés, on se sent tenté d’en sonder les mystères ; on se demande quels seront les résultats de cette immense révolution sur le reste du monde, quels effets produirait sur la civilisation, sur la politique européenne, cette agrégation d’une population industrieuse de trois cents millions d’ames.

Quelles seraient d’abord les conséquences de l’ouverture de la Chine sur la Chine elle-même ? L’empire chinois continuerait-il à exister ? La révolution serait-elle seulement morale ? On ne peut le penser, il est plus que probable que ce corps immense se diviserait en un nombre plus ou moins grand de nations indépendantes les unes des autres ; les intérêts mutuels, les circonstances de localité, réuniraient ou diviseraient les provinces. La Chine devien-