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LETTRES DE CHINE.

exemple, qu’elle complètera. Les divers archipels de la mer de Chine et des détroits resteront ou deviendront les avant-postes de l’Europe dans la grande lutte qui s’est engagée, jusqu’à ce que, entraînés aussi par cette tendance de toutes les grandes divisions humaines à se gouverner elles-mêmes, ils secouent le joug pour former à leur tour des nations indépendantes.

Cette simple énumération des contrées qui composent ce qu’on appelle l’extrême Orient ne vous inspire-t-elle pas, monsieur, de sérieuses réflexions ? Et, franchissant par la pensée la distance des temps, comprenez-vous tout l’intérêt qui s’attache dans l’avenir à cette partie du globe ? Quelles immenses destinées ne lui sont pas réservées ! C’est dans la mer de Chine que sont les plus grandes masses de population ; c’est évidemment là qu’est le centre de l’avenir commercial du monde. Les terres qu’elle baigne contiennent plus de quatre cents millions d’ames ; déjà le mouvement commercial qui y pénètre ou qui en sort s’élève à près d’un milliard, et l’œuvre est à peine ébauchée ; tout est encore à faire. Les vingt-cinq millions d’ames du Japon ne consomment aujourd’hui que 300,000 francs de marchandises européennes ; la consommation que la population de la Chine fait des mêmes produits ne s’élève pas à plus de quinze centimes par individu. Lors de l’entrée des Anglais à Chin-hae et à Ning-po, ils ne trouvèrent pas le moindre vestige de marchandises européennes ; les importations de Canton n’arrivaient même pas jusque-là. La Cochinchine ne connaît pas ces produits ; Siam vit presque exclusivement de son sol, comme les habitans de la péninsule malaise, et si les divers archipels qui couvrent les mers de l’Indo-Chine ont un commerce comparativement un peu plus avancé avec les nations européennes, c’est que l’influence du voisinage des possessions hollandaises et anglaises, s’y est fait sentir d’une manière plus immédiate. C’est le commerce, bien plus que les armes des nations de l’Occident, qui fera pénétrer notre civilisation dans toutes ces contrées, et, lorsque tous ces immenses foyers de production et de consommation seront remués par l’activité et la concurrence européennes, quelle place importante n’occuperont-ils pas dans l’échelle des relations commerciales du monde !

Il ne faut donc pas s’étonner de l’attention profonde avec laquelle le gouvernement français observe aujourd’hui les évènemens dont la mer de Chine est le théâtre. Si nos intérêts actuels n’y sont pas d’une grave importance, la question s’y présente pour nous, comme pour l’Angleterre, comme pour toutes les puissances qui sont à la tête de la civilisation, avec tout son avenir de conséquences incalculables. La presse anglaise ne semble pas la comprendre quand elle témoigne sa surprise de ce que le gouvernement français entretient des agens en Chine et y envoie des bâtimens de guerre. Eh quoi ! elle parle tout haut de l’ouverture prochaine de la Chine au commerce étranger, c’est-à-dire de la plus grande révolution dont les annales de l’histoire moderne fassent mention, et la France n’aurait pas le droit, ce ne serait pas pour son gouvernement un devoir sacré, d’en suivre toutes les phases !