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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/197

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LE ROMAN ANGLAIS.

aussi un livre ; ce roman s’appela le Château d’Otrante. C’est un conte de terreur et d’antiquailles très finement conté, coloré sobrement, la terreur faisant passer les détails de l’antiquaire, et les détails archéologiques prêtant de la vraisemblance au fantastique de la terreur. Cette double route une fois ouverte, on s’y jeta. La terreur fut exploitée par Mme Radcliffe, Lewis, auteur du Moine, Maturin et mistriss Shelley ; l’archéologie fut appliquée au roman par Strutt et par miss Reeve, jusqu’à l’avènement de Walter Scott.

Mais ne nous pressons pas. Nous sommes parvenus aux limites du XIXe siècle, et l’indifférence une fois introduite comme on vient de le voir, dans la société britannique, les deux grands partis des puritains et des cavaliers s’étant peu à peu fatigués de leur longue guerre, la couleur et la forme du roman vont nécessairement s’altérer. Walter Scott recueillera bientôt les principaux fruits et la gloire suprême de cette nouvelle époque ; puis chacun de ses successeurs, dont nous indiquerons la généalogie, se renfermera dans un petit domaine particulier, exploitera de son mieux un coin d’observation sociale, livrera à ses propres héritiers un domaine que ceux-ci auront eux-mêmes soin de morceler encore, en jetant le roman de la Grande-Bretagne dans l’étrange situation où il se trouve aujourd’hui.

Avant la fin du XIXe siècle, on était revenu, grace à la fantaisie de Walpole, aux contes de ma mère l’Oie et aux recherches des savans ; on s’amusait à trembler devant les clairs de lune argentant les tourelles, et à compter les clous d’un fauteuil du XIIe siècle, cela par pure fatigue de la morale dogmatique déployée avec tant de cruauté par Richardson et ses imitateurs. Certes Paméla et quelques parties de Grandisson justifiaient ce dégoût. Cependant l’école puritaine et pédagogique n’était pas morte ; sa ténuité d’imperceptible analyse et son sérieux appliqué aux petites choses avaient trop de racines anglaises et populaires pour ne pas porter beaucoup de fruits encore. Les femmes s’en emparèrent. C’est la troisième moisson du roman puritain ; il a débuté avec Bunyan et De Foë, et s’est continué par Richardson ; sa troisième ère appartient aux femmes. On voit marcher à leur tête la reine des bleues, Hanna More, qui a fait un roman pour toutes les vertus, et qui a moralement ennuyé son pays pendant trente années. Vient ensuite mistriss Edgeworth, bien supérieure à miss Hanna, plus fine, plus tolérante, plus sagace, plus mêlée au monde, plus connaisseuse en fait de caractères et de mœurs, mais entachée du défaut de l’école et légèrement pédantesque dans ses affabulations. Toutes ces dames, relèvent de Richardson, leur maître ;