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dustrie, et à laquelle on ne pourrait se dérober sans se condamner à l’immobilité absolue.

La poésie y échappera-t-elle plus que la science ? Non, et c’est ce que nous voyons très bien chez les Grecs. La poésie homérique fut pour l’art ce que la philosophie a été pour la science : un point de départ vaste, compréhensif, presque universel. Mais, après elle et le cycle qu’elle domine, ce grand corps épique semble se démembrer ; il se décompose en genres, le genre historique, le genre oratoire, le genre descriptif, le genre dramatique. Est-ce une ruine ? Non ; chacun de ces genres s’accroît à son tour ; quelques-uns prennent des proportions plus colossales même que le monument premier dont ils étaient les assises ; c’est que ce monument vivait, c’est que l’esprit humain était en lui, et, s’il s’est dissous, c’est à cause de la surabondance même de sa vie, qui demandait des corps nouveaux à organiser, des mondes nouveaux à remplir. Les genres dans l’art ne sont donc pas une invention des critiques, une étroitesse d’école, une défaillance de l’esprit, qui ne sait plus embrasser l’ensemble des choses ; c’est au contraire une manifestation de force, un moyen nécessaire d’approfondir et d’élargir le domaine livré à notre intelligence.

C’est pour cela qu’il n’y a pas eu, à vrai dire, de poème épique après Homère. Les grandes choses ont leur place marquée à tel ou tel point de la durée historique ; il faut les y étudier, les y admirer, et les y laisser. En lisant Homère, on sent à chaque mot qu’on est au berceau d’une civilisation ; dès-lors on s’abandonne à ses élans et à ses disparates, on ne lui demande que des caractères dessinés à grands traits ; la peinture est vraie, nuancée, ardente ; de hautes idées s’y font jour, quoique encore à l’état élémentaire et un peu vagues ; nous sentons l’homme et son siècle ; il y a naturel et harmonie en toutes choses, cela nous suffit ; l’admiration a trouvé son point de vue et elle jouit du grand homme. Trouve-t-on cette même harmonie d’ensemble dans les poètes épiques postérieurs ? Nullement. Quand on lit Virgile ou le Tasse, on sent aussitôt un autre siècle, un siècle qui a beaucoup plus d’idées sur toutes choses ; on lui demande donc plus de développemens, plus de profondeur, plus de détails ; mais dès-lors le plan de l’épopée, qui contient tout, serait trop vaste, le poète en serait écrasé : aussi n’en peut-il remplir également toutes les parties, on ne le lira point en entier, on en lira certains passages soignés, détaillés, faisant genre à part, le drame de la prise de Troie, une touchante élégie sur la mort de Didon, une belle exposition de philosophie platonicienne dans la description des enfers, c’est-à-dire