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l’impression produite par une action représentée avec ces détails et selon la nature ; c’était le triomphe du poète. Mais, pour que cette impression fût forte, il fallait qu’elle fût une ; de là cette unité du drame grec, qui s’attache moins au lieu et au temps qu’à l’effet moral produit sur le spectateur. Cette unité rigoureuse, qui fermait la tragédie aux rires, la comédie aux larmes, s’obtient, il est vrai, par un choix de circonstances qui constitue une espèce d’idéal, mais cet idéal est fondé sur la nature même. Quel homme en effet, s’il assistait en réalité à des évènemens comme ceux qui sont le sujet de la tragédie, ne souffrirait pas, ne s’indignerait pas d’y voir mêler la plaisanterie ? Quel homme, voyant en réalité la situation d’Œdipe ou d’Électre et entendant leurs discours, pourrait s’arrêter à voir et à entendre les trivialités qui se passeraient dans le voisinage ? Quand donc nous recevons des impressions vives, nous cherchons naturellement à les isoler pour en jouir ; frappés du beau, nous détournons naturellement les yeux du laid, et le rire qui se permet d’éclater entre des scènes pathétiques, au milieu de situations graves et de pressentimens douloureux, ne peut nous faire l’effet que d’une grimace hideuse. On s’est donc trompé lorsque de nos jours on a cru revenir à la nature par le mélange des genres ; on n’a fait qu’affaiblir l’impression et amincir l’étoffe du drame, sans en être plus naturel pour cela. On croyait justifier Shakspeare en lui attribuant ce prétendu système : triste et froid plaidoyer, amoindrissant l’homme de génie pour déguiser des faiblesses qui étaient celles de son temps et de ses auditeurs !

Les chœurs des fêtes de Bacchus furent donc accompagnés de deux espèces, distinctes par nature, d’épisodes dramatiques : d’une part, la haute poésie, la poésie des héros, la poésie aristocratique, comme la définit justement M. Magnin[1] ; d’autre part, la poésie démocratique, bouffonne, moqueuse, aliment des grossières risées populaires. Celle-ci fut d’abord la satyre, qui se jouait comme petite pièce après la tragédie, et qui produisit plus tard, sans cependant disparaître elle-même, le drame plus réfléchi qui reçut le nom de comédie.

Quelle fut la philosophie de ces deux sortes de drames ? La même que celle d’Homère. Il y a ici, en effet, une analogie bien remarquable. Homère, avons-nous dit ailleurs[2], met la comédie chez

  1. Origines du Théâtre, t. I.
  2. Voyez la livraison de la Revue du 15 mars 1841 ; l’article sur Sophocle et la Philosophie du drame chez les Grecs forme une suite naturelle à celui sur Homère et la Philosophie grecque, inséré l’année dernière.