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GRENADE.

L’étranger qui désire prolonger son séjour dans une ville espagnole ne doit pas rester dans les hôtelleries, où il sera écorché, livré aux bêtes et traité de Turc à Maure. Il faut qu’il se loge dans une casa de pupillos, c’est-à-dire dans une maison particulière où l’on prend des pensionnaires au mois ou à l’année ; il sera beaucoup mieux en dépensant beaucoup moins.

Notre domestique de place se mit aussitôt en quête, car nous étions fort mal à la Fonda del Comercio, qui dispute à la Cruz de Malta l’honneur d’être le premier hôtel de Grenade et justifie très peu sa prétention d’être tenue à la française. Ce domestique était Français et se nommait Louis, de Faremoutiers en Brie. Il avait déserté du temps de l’invasion des Français sous Napoléon, et vivait à Grenade depuis vingt-deux ans. C’était bien le plus drôle de corps qu’on puisse imaginer : sa taille, de cinq pieds huit pouces, faisait le plus singulier contraste avec sa petite tête, ridée comme une pomme et grosse comme le poing. Privé de toute communication avec la France, il avait gardé son ancien jargon briard dans toute sa pureté native, parlait comme un Jeannot d’opéra-comique, et semblait réciter perpétuellement des paroles de M. Étienne. Malgré un si long séjour, sa dure cervelle s’était refusée à se meubler d’un nouvel idiome ; il savait à peine les phrases tout-à-fait indispensables. De l’Espagne, il