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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/268

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REVUE DES DEUX MONDES.

Pour aller à l’Alhambra, nous passerons, s’il vous plaît, par la place de la Vivarambla, où le vaillant More Gazul courait autrefois le taureau, et dont les maisons, avec leurs balcons et leurs miradores de menuiserie, ont une vague apparence de cages à poulet. Le marché aux poissons occupe un angle de la place, dont le milieu forme un terre-plain entouré de bancs de pierre, peuplé de changeurs de monnaie, de marchands d’alcarrazas, de pots de terre, de pastèques, de merceries, de romances, de couteaux, de chapelets et autres menues industries en plein vent. Le Zacatin, qui a conservé son nom moresque, relie la Vivarambla à la Plaza-Nueva. Dans cette rue, côtoyée de ruelles latérales, couverte de tendidos de toile à voile, s’agite et bourdonne tout le commerce de Grenade ; les chapeliers, les tailleurs, les cordonniers, les passementiers et les marchands d’étoffes, occupent presque toutes les boutiques auxquelles sont encore inconnus les raffinemens du luxe moderne, et qui rappellent les anciens piliers des halles de Paris. La foule se presse à toute heure dans le Zacatin. Tantôt c’est un groupe d’étudians de Salamanque en tournée qui jouent de la guitare, du tambour de basque, des castagnettes et du triangle, en chantant des couplets pleins de verve et de bouffonnerie ; tantôt une horde de Bohémiennes avec leur robe bleue à falbalas, semée d’étoiles, leur long châle jaune, leurs cheveux en désordre, leur col entouré de gros colliers d’ambre ou de corail, ou bien une file d’ânes chargés de jarres énormes et poussés par un paysan de la Vega, brûlé comme un Africain.

Le Zacatin débouche sur la Place-Neuve, dont tout un pan est occupé par le superbe palais de la Chancellerie, remarquable par ses colonnes d’ordre rustique et la richesse sévère de son architecture. La place traversée, l’on commence à gravir la rue de los Gomeres, au bout de laquelle l’on se trouve sur la limite de la juridiction de l’Alhambra, face à face avec la porte des Grenades, nommée Bib-Leuxar par les Mores, ayant à sa droite les Tours Vermeilles, bâties, à ce que prétendent les érudits, sur des substructions phéniciennes, et habitées aujourd’hui par des vanniers et des potiers de terre.

Avant d’aller plus loin, nous devons prévenir nos lecteurs, qui pourraient trouver nos descriptions, quoique d’une scrupuleuse exactitude, au-dessous de l’idée qu’ils s’en sont formée, que l’Alhambra, ce palais-forteresse des anciens rois mores, n’a pas le moins du monde l’aspect que lui prête l’imagination. On s’attend à des superpositions de terrasses, à des minarets brodés à jour, à des perspectives de colonnades infinies. Il n’y a rien de tout cela dans la réalité ; au dehors,