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SOUVENIRS DE GRENADE.

l’on ne voit que de grosses tours massives couleur de brique ou de pain grillé, bâties à différentes époques par les princes arabes ; au dedans, qu’une suite de salles et de galeries décorées avec une délicatesse extrême, mais sans rien de grandiose. Ces réserves prises, continuons notre route.

Quand on a dépassé la porte des Grenades, l’on se trouve dans l’enceinte de la forteresse et sous la juridiction d’un gouverneur particulier. Deux routes sont tracées dans un bois de haute futaie. Prenons le chemin de gauche, qui conduit à la fontaine de Charles-Quint ; c’est le plus escarpé, mais le plus court et le plus pittoresque. Des ruisseaux roulent avec rapidité dans des rigoles de cailloutis et répandent la fraîcheur au pied des arbres, qui appartiennent presque tous aux espèces du Nord, et dont la verdure a une vivacité bien délicieuse à deux pas de l’Afrique. Le bruit de l’eau qui gazouille se mêle au bourdonnement enroué de cent mille cigales ou grillons dont la musique ne se tait jamais et vous rappelle forcément, malgré la fraîcheur du lieu, aux idées méridionales et torrides. L’eau jaillit de toutes parts, sous le tronc des arbres, à travers les fentes des vieux murs. Plus il fait chaud, plus les sources sont abondantes, car c’est la neige qui les alimente. Ce mélange d’eau, de neige et de feu fait de Grenade un climat sans pareil au monde, un véritable paradis terrestre, et, sans que nous soyons More, l’on peut, lorsque nous avons l’air absorbé dans une mélancolie profonde, nous appliquer le dicton arabe : Il pense à Grenade.

Au bout du chemin, qui ne cesse de monter, on rencontre une grande fontaine monumentale qui forme épaulement, dédiée à l’empereur Charles-Quint, avec force devises, blasons, victoires, aigles impériales, médaillons mythologiques, dans le goût romain allemand, d’une richesse lourde et puissante. Deux écussons aux armes de la maison de Mondejar indiquent que don Luis de Mendoza, marquis de ce titre, a élevé ce monument en l’honneur du César à barbe rousse. Cette fontaine, solidement maçonnée, soutient les terres de la rampe qui conduit à la porte du Jugement, par laquelle on entre dans l’Alhambra proprement dit.

La porte du Jugement a été bâtie par le roi Yusef-Abul-Hagiag, vers l’an 1348 de Jésus-Christ : ce nom lui vient de l’habitude où sont les musulmans de rendre la justice sur le seuil de leurs palais ; ce qui a l’avantage d’être fort majestueux et de ne laisser pénétrer personne dans les cours intérieures, car la maxime de M. Royer-Collard, « la vie privée doit être murée, » avait été inventée depuis bien des siè-