fraîcheur au pied d’un arbre. Les Arabes ont poussé au plus haut degré l’art de l’irrigation ; leurs travaux hydrauliques attestent une civilisation des plus avancées ; ils subsistent encore aujourd’hui, et c’est à eux que Grenade doit d’être le paradis de l’Espagne, et de jouir d’un printemps éternel sous une température africaine. Un bras du Darro a été détourné par les Arabes et amené de plus de deux lieues sur la colline de l’Alhambra.
Du belvédère du Generalife, l’on aperçoit bien nettement la configuration de l’Alhambra avec son enceinte de tours rougeâtres à demi ruinées, et ses pans de murs qui montent et descendent, en suivant les ondulations de la montagne. Le palais de Charles-Quint, que l’on ne découvre pas du côté de la ville, dessine sur les flancs damassés de la Sierra-Nevada, dont l’échine blanche entaille bizarrement le ciel, sa masse robuste et carrée, que le soleil dore d’un reflet blond. Le clocher de Sainte-Marie profile sa silhouette chrétienne au-dessus des créneaux mauresques. Quelques cyprès poussent à travers les crevasses des murailles leurs noirs soupirs de feuillage au milieu de toute cette lumière et de tout cet azur, comme une pensée triste dans la joie d’une fête. Les pentes de la colline qui descendent vers le Darro et le ravin de los Molinos disparaissent sous un océan de verdure. C’est un des plus beaux points de vue que l’on puisse imaginer.
De l’autre côté, comme pour faire contraste à tant de fraîcheur, s’élève une montagne inculte, brûlée, fauve, plaquée de tons d’ocre et de terre de Sienne, qu’on appelle la silla del Moro à cause de quelques restes de constructions qu’elle porte à son sommet. C’est de là que le roi Boabdil regardait les cavaliers arabes jouter dans la Vega contre les chevaliers chrétiens. Le souvenir des Mores est toujours vivant à Grenade. On dirait que c’est d’hier qu’ils ont quitté la ville, et, si l’on en juge par ce qui reste d’eux, c’est vraiment dommage. Ce qu’il faut à l’Espagne du midi, c’est la civilisation africaine et non la civilisation européenne, qui n’est pas en rapport avec l’ardeur du climat et des passions qu’il inspire. Le mécanisme constitutionnel ne peut convenir qu’aux zones tempérées ; au-delà de 30 degrés de chaleur, les chartes fondent ou éclatent.
Maintenant que nous en avons fini avec l’Alhambra et le Generalife, traversons le ravin du Darro et allons visiter, le long du chemin qui mène au Monte-Sagrado, les tanières des gitanos, assez nombreux à Grenade. Ce chemin est pratiqué dans le flanc de la colline de l’Albaycin, qui surplombe d’un côté. Des raquettes gigantesques, des