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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/283

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SOUVENIRS DE GRENADE.

nopals monstrueux hérissent ces pentes décharnées et blanchâtres de leurs palettes et de leurs lances couleur de vert-de-gris ; sous les racines de ces grandes plantes grasses qui semblent leur servir de chevaux de frise et d’artichauts, sont creusées dans le roc vif les habitations des bohémiens. L’entrée de ces cavernes est blanchie à la chaux ; une corde tendue, sur laquelle glisse un morceau de tapisserie éraillée, leur tient lieu de porte. C’est là-dedans que grouille et pullule la sauvage famille ; les enfans, plus fauves de peau que des cigares de la Havane, jouent tout nus devant le seuil, sans distinction de sexe, et se roulent dans la poussière en poussant des cris aigus et gutturaux. Les gitanos sont ordinairement forgerons, tondeurs de mules, vétérinaires, et surtout maquignons. Ils ont mille recettes pour donner du feu et de la vigueur aux bêtes les plus poussives et les plus fourbues ; un gitano eût fait galoper Rossinante et caracoler le grison de Sancho. Leur vrai métier au fond est celui de voleur.

Les gitanas vendent des amulettes, disent la bonne aventure et pratiquent les industries suspectes habituelles aux femmes de leur race : j’en ai peu vu de jolies, bien que leurs figures fussent remarquables de type et de caractère. Leur teint basané fait ressortir la limpidité de leurs yeux orientaux dont l’ardeur est tempérée par je ne sais quelle tristesse mystérieuse, comme le souvenir d’une patrie absente et d’une grandeur déchue. Leur bouche un peu épaisse, fortement colorée, rappelle l’épanouissement des bouches africaines ; la petitesse du front, la forme busquée du nez, accusent leur origine commune avec les tsiganes de Valachie et de Bohême, et tous les enfans de ce peuple bizarre qui a traversé, sous le nom générique d’Égypte, la société du moyen-âge, et dont tant de siècles n’ont pu interrompre la filiation énigmatique. Presque toutes ont dans le port une telle majesté naturelle, une telle franchise d’allure, elles sont si bien assises sur leurs hanches, que, malgré leurs haillons, leur saleté et leur misère, elles semblent avoir la conscience de l’antiquité et de la pureté de leur race vierge de tout mélange, car les bohémiens ne se marient qu’entre eux, et les enfans qui proviendraient d’unions passagères seraient rejetés de la tribu impitoyablement. — Une des prétentions des gitanos est d’être bons Castillans et bons catholiques, mais je crois qu’au fond ils sont quelque peu Arabes et mahométans, ce dont ils se défendent tant qu’ils peuvent, par un reste de terreur de l’inquisition disparue. — Quelques rues désertes et à moitié en ruines de l’Albaycin sont aussi habitées par des gitanos plus riches ou moins nomades. Dans une de ces ruelles, nous aperçûmes une