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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

On sait quels efforts a faits, depuis près d’un demi-siècle, M. Owen pour répandre sa singulière doctrine, et quelles transformations pratiques et spéculatives il lui a imprimées. Un essai heureux à New-Lanark a été suivi d’expériences avortées à New-Harmony et à Orbiston. Sur ces deux points, on a pu voir le principe de la communauté à l’œuvre. Invariablement il a offert le même spectacle, celui d’ouvriers laborieux victimes d’ouvriers fainéans, d’hommes intelligens exploités par des hommes incapables ; toujours il a présenté le même résultat, celui d’un anéantissement graduel de la production et d’un éloignement invincible pour le travail. Quoiqu’il fût évident que les choses devaient se passer ainsi, il est heureux que l’épreuve en ait été faite, et qu’elle ait abouti à deux avortemens décisifs. M. Owen seul s’est refusé à voir dans ces échecs la condamnation de son système, et il n’en a pas moins continué son œuvre de prosélytisme. Tantôt son zèle éclate en discours, en manifestes de tout genre ; tantôt il se reporte vers de nouveaux essais et provoque des souscriptions en faveur d’un établissement expérimental. Pour concentrer l’action de sa doctrine ; M. Owen a fondé un congrès annuel à Manchester et créé dans les trois royaumes soixante-une sociétés qui relèvent d’une société centrale. Jusqu’ici toutes ces tentatives n’ont amené qu’une agitation impuissante. Limitée à un petit nombre d’hommes qui vont toujours vers la nouveauté et vers le bruit, la secte des socialistes (c’est le nom qu’ils se donnent) n’est en progrès ni pour le nombre ni pour la qualité des adhérens. Elle se recrute surtout dans la classe moyenne, parmi ces hommes qui ont plus d’orgueil que de connaissances : clercs d’huissiers et d’avoués, industriels en faillite, chirurgiens et médecins de village, ingénieurs sans emploi, artistes sans talent, professeurs manqués, étudians paresseux, écrivains incompris. En Angleterre plus qu’ailleurs, il existe des vanités incurables, des organisations indolentes qui veulent cumuler les avantages du bien-être et de l’oisiveté. Ne se croyant pas à leur place, ces génies méconnus se gardent bien de s’en prendre à eux-mêmes : ils font un procès à la société, la condamnent sans appel, et décrètent qu’elle sera changée.

Ce que les socialistes demandent à la persuasion, les chartistes le demandaient naguère à la violence. On se souvient des dévastations qui accompagnèrent leur premier passage et de la condamnation de Frost et de William, leurs principaux chefs. Depuis ce temps, les chartistes semblent s’être disciplinés ; ils forment aujourd’hui une masse imposante par le nombre. Londres en compte deux cent mille,