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le reste de l’Angleterre deux millions, répartis dans trois cent-soixante dix villes, bourgs ou villages. Une pétition récemment portée au parlement était couverte de trois millions trois cent dix-sept mille sept cent deux signatures. Il ne faut pas s’exagérer cette démonstration formidable en apparence. L’Angleterre est habituée à ce genre de manifestations, et le pouvoir ne s’en émeut pas. Le véritable danger serait plutôt dans la nouvelle attitude qu’ont prise ces sociétés populaires et dans la modération qu’elles semblent désormais s’imposer. Le caractère de la dernière pétition était tout politique ; on n’y remarquait aucun appel au désordre, aucune menace contre la propriété. Les signataires réclamaient la réforme du parlement, le vote au scrutin, l’égalité pour les districts électoraux. Ils rappelaient que le clergé en Angleterre reçoit du trésor public 220 millions de francs, somme suffisante pour l’entretien du christianisme dans toutes les parties du monde. Ils demandaient que l’on prît en considération la détresse des classes laborieuses, le triste sort que la dernière loi sur le paupérisme a fait aux malheureux.

Ce langage relativement modéré, cette démarche légale auprès du parlement, substitués à une déclamation farouche et à l’emploi de la force, prouvent qu’une modification profonde s’est opérée dans le chartisme. Elle est due surtout à deux ouvriers, MM. Lovett et Vincent. Un journaliste, M. O’Brien, s’y est associé, et un ancien membre du parlement, M. Fergus O’Connor, couvre le tout d’un patronage assez déconsidéré. Aujourd’hui, une certaine direction a été imprimée au chartisme, qui veut prendre la couleur et la gravité d’un parti politique. Il a porté naguère un candidat sur les hustings, M. Sturge, et aspire à dominer le radicalisme parlementaire. Dans ces conditions, toute pensée de bouleversement social serait funeste au chartisme, et il s’en éloigne avec un soin extrême ; il a passé de l’action à la discussion. C’est une nouvelle période dans laquelle il sera curieux de le suivre. Déjà ce parti commence à se confondre avec une ligue purement défensive, organisée sous le nom de Trade’s Union (union du commerce), qui n’est autre chose qu’une coalition puissante des ouvriers contre les maîtres. Les maîtres s’étaient concertés pour dominer le mouvement des salaires ; les ouvriers ont répondu à ce pacte par un pacte semblable. Dans plusieurs villes industrielles, ils sont aujourd’hui comme enrégimentés ; ils obéissent aux ordres de leurs chefs avec une résignation exemplaire, suspendent les travaux au premier signal, changent de résidence toutes les fois que l’intérêt commun l’exige, et, quand il le faut,