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tait pas en mesure d’aborder ce problème. On se trouvait en face d’un texte entièrement inconnu, et l’on n’avait aucun moyen d’en établir le sens par une méthode sûre ; on en était réduit aux suppositions gratuites, aux conjectures arbitraires, et rien ne permettait de décider entre les unes et les autres. Aussi les hommes qui aiment à faire courir à la science les folles aventures de leur imagination avaient-ils beau jeu. Ils firent si bien, qu’ils discréditèrent auprès des esprits sages toutes les recherches sur les hiéroglyphes. Ces recherches semblaient, en effet, donner le vertige au bon sens, et l’habitude était si bien prise que, même au temps de Champollion et depuis, il s’est trouvé des gens qui ont eu l’héroïsme de soutenir les opinions les plus incroyables. L’un d’eux lisait sur le portique du grand temple de Denderah une traduction du centième psaume de David pour inviter les peuples à entrer dans le temple de Dieu. Un autre a découvert que les hiéroglyphes, considérés comme de simples lettres, n’exprimaient que des mots hébreux. Un troisième vient de publier un dictionnaire des hiéroglyphes où, entre autres merveilles, il nous révèle que le chat est le symbole de Dieu. Vous vous étonnez ; rien n’est plus simple pourtant : vous connaissez le cri du destructeur des souris, retranchez la préfixe m, reste la racine iao ; or, iao est, comme chacun le sait, le nom de Dieu en chinois, en hébreu et dans les langues les plus anciennes. Le chat est donc le seul animal qui ait reçu le privilége de le prononcer ; voilà pourquoi il est le symbole de Dieu. Mais laissons là ces innocentes facéties.

L’on avait obtenu, lors de l’expédition d’Égypte, un secours inespéré pour résoudre l’énigme. M. Bouchard, officier du génie, trouva, au mois d’août 1799, dans des fouilles exécutées à l’ancien fort de Rosette, une pierre de granit noir dont la face bien polie offrait trois inscriptions en caractères différens : l’une en hiéroglyphes, la seconde en écriture vulgaire égyptienne, la troisième en langue et en caractères grecs. Ce dernier texte est un décret du corps sacerdotal de l’Égypte réuni à Memphis pour décerner de grands honneurs au roi Ptolémée Épiphane, à l’occasion de son couronnement. On y voit que les deux autres inscriptions contiennent l’expression fidèle du même décret en langue égyptienne et en deux écritures distinctes. Voilà un point de comparaison obtenu, un rapport déterminé entre les écritures égyptiennes et une écriture connue, un moyen donc de découvrir, de rechercher du moins, d’après un procédé légitime, le sens des hiéroglyphes. Ce monument, devenu célèbre sous le nom de pierre de Rosette, tomba entre les mains des Anglais, mais c’est