Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
REVUE DES DEUX MONDES.

signes pour le même son ; tous les objets dont les noms avaient le même son initial pouvaient, en principe, également le représenter. Ce luxe semble assez incommode, et la simplicité de nos alphabets offre bien plus d’avantages. Cependant les Égyptiens ont tiré de cette multitude de caractères homophones un parti qui décèle la nature de leur génie. Ils ne les employaient pas indifféremment l’un pour l’autre. Avaient-ils à écrire un mot qui exprimât une idée agréable par exemple, ils choisissaient entre les homophones celui qui représentait aussi l’objet le plus agréable. Le symbolisme, si naturel à l’Égypte, se glissait de cette manière jusque dans son alphabet, qui parlait à l’esprit comme aux yeux, figurait l’idée et le son tout à la fois, et donnait aux lettres une sorte de pensée et d’ame. Souvent aussi c’étaient de simples convenances pittoresques qui déterminaient le choix : le sculpteur et le peintre prenaient entre les homophones celui qui se coordonnait le mieux avec les autres signes du groupe ; mais ce choix a toujours été renfermé en de certaines limites.

Champollion fit, en 1824, connaître sa théorie dans le Précis sur le système hiéroglyphique des anciens Égyptiens. Chose remarquable, il n’est entré dans le sentier de ses découvertes qu’en prenant tous les caractères des trois écritures égyptiennes pour des signes d’idées et non pas de son ; et, pour posséder le secret de ces écritures, il a dû reconnaître à la fin que le principe alphabétique se combine dans chacune en des proportions diverses avec le principe idéographique. Champollion a distingué plus de huit cents signes hiéroglyphiques différens. L’Égypte est le seul pays qui ait fait usage à la fois et toujours de trois systèmes graphiques : l’hiéroglyphique, l’hiératique, qui en est, en quelque sorte, la tachygraphie, et le démotique, ou vulgaire, qui en est une dérivation plus éloignée. Dans le premier, sont curieusement combinés les élémens phonétiques et symboliques. Sous cette bigarrure, sous cet air complexe, se cache cependant une réelle unité ; l’Égypte offre l’unique et curieux exemple d’un alphabet qui semble vouloir se dégager de l’écriture symbolique, et qui y reste pris, comme, dans sa statuaire, on voit la forme humaine retenue encore au bloc dont elle ne peut se séparer. Ce caractère est commun aux trois écritures. Le style architectural distingue les hiéroglyphes ; leur dessin précis et sévère, leur richesse, leur variété, les rendent singulièrement propres à décorer les monumens. On les a imaginés, semble-t-il, pour graver sur les temples et sur les palais l’histoire des dieux et des Pharaons, et sur les tombeaux les enseignemens de la mort et les souvenirs de la vie.