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DES ÉTUDES ÉGYPTIENNES EN FRANCE.

l’objet. Dans ceux de Denderah, on crut que le point solsticial se trouvait dans le signe du lion : or, le point solsticial n’a pu être dans ce signe que trente siècles au moins avant notre ère. On reportait donc à cette époque la construction du temple.

Dans les zodiaques d’Esné, le solstice parut être dans le signe de la Vierge, ce qui les ferait remonter jusqu’à cinq mille ans avant Jésus-Christ. Les calculs les plus subtils furent prodigués à cette occasion. Chacun composa son système et attaqua celui des autres ; c’était une dispute interminable. On supposait sans motif que ces zodiaques avaient un sens astronomique, tandis qu’ils pouvaient fort bien n’avoir qu’un sens religieux ou astrologique, sans rapport à l’ordre de l’année solaire. Du reste, on manquait de tout point fixe et commun pour s’entendre. Cette querelle n’était si passionnée que parce qu’elle en cachait une plus grave. La question religieuse se mêlait à la question archéologique. L’antiquité que Dupuis et Fourier donnaient aux zodiaques reculait la civilisation égyptienne au-delà de toutes les limites que permet la chronologie biblique, dont on confondait la cause avec celle du christianisme, à tort je le pense, car le christianisme est tout autre chose qu’une question de chiffres.

Un élément positif vint enfin permettre de juger le procès. On avait trouvé sur le portique du temple de Denderah une inscription grecque que la commission d’Égypte n’avait pas su interpréter. M. Letronne la restitua et l’expliqua en 1821. Elle apprend que les Tentyrites ont élevé ce portique à Tibère. Le zodiaque qui s’y trouve ne pouvait donc être antérieur à ce prince. Le fait avait beau être évident, le raisonnement simple, la conclusion inévitable : on cria au paradoxe, à l’abus d’érudition. À vrai dire, ces quelques mots grecs déroutaient toutes les théories que l’on s’était arrangées sur l’Égypte. C’était de quoi faire perdre le sommeil à toute la commission d’Égypte. On croyait jusqu’alors, avec elle, que tous les monumens de style égyptien étaient antérieurs à Cambyse. On s’était appuyé sur des zodiaques pour attribuer à la vallée du Nil la plus antique civilisation, et voilà ces systèmes renversés par une seule petite inscription. Champollion, même au premier moment, était d’assez mauvaise humeur contre elle. Ce fut enfin une tempête universelle contre les hardiesses de M. Letronne. Il tint bon, et bien lui en prit.

L’année suivante, MM. Huyot et Gau revinrent d’Égypte. Ils avaient reconnu sans peine, avec le coup d’œil exercé des artistes, que les monumens égyptiens ne pouvaient être tous de la même époque.