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PORTRAITS HISTORIQUES.

galantes. Cependant il lui arriva dès lors une première atteinte du malheur. Sous prétexte que ses soldats, dans leur garnison de Moulins, faisaient du désordre, non pas aux dépens du bourgeois et du paysan, mais au préjudice de la gabelle, on le retint cinq mois à la Bastille (1641), ce qui l’empêcha du moins d’être défait avec son régiment au combat de la Marfée. Cette petite contrariété le fit songer au mariage, comme à un moyen « de subsistance » en cas du pire évènement. Il avait bien quelqu’attachement de cœur avec une de ses cousines ; mais, comme il avait profité de ses classes, il lut le traité d’Ovide des Remèdes d’amour, et se guérit assez vite de sa passion pour épouser, le 28 avril 1643, Gabrielle de Toulongeon, sa parente au même degré que l’était Marie de Rabutin.

Roger avait donc une femme et n’avait plus de régiment ; car, depuis la défaite de la Marfée, qui coûta la vie au comte de Soissons vainqueur, on avait réformé celui qu’il commandait. Pendant qu’il s’essayait à la vie de ménage ; de grands changemens s’étaient opérés dans le royaume ; et il n’avait vu que de loin le cardinal de Richelieu mourir, Louis XIII suivre bien vite au tombeau le ministre sans lequel il ne pouvait régner, Anne d’Autriche s’emparer de la régence et donner le gouvernement au cardinal Mazarin, enfin le nouveau règne s’ouvrir par les victoires de Rocroy, de Thionville et de Fribourg. Pour qui savait tenir une épée et dormir sous la tente, ce n’était pas là un temps à faire ses récoltes et à élever des enfans dans un château. La lieutenance de la compagnie des chevau-légers du prince de Condé étant venue à vaquer, il l’acheta douze mille écus, et bientôt la mort de son père (1645) le fit hériter de sa charge de lieutenant du roi en Nivernais. Rendu au service avec ce double emploi, mais seulement après la bataille de Nordlingen, il acheva la campagne d’Allemagne, suivit, l’année d’après (1646), le duc d’Enghien en Flandre, où il fit preuve d’une brillante valeur, et au retour il perdit sa femme, qui lui laissait trois filles. Dans le même temps, le prince Henri de Condé mourut, et, sa compagnie de chevau-légers passant à son fils, le comte de Bussy se trouva directement serviteur du jeune héros. Il l’accompagna en cette qualité dans sa malheureuse expédition en Catalogne (1647), où le prince ne prit pas Lérida et où le comte prit la fièvre. La campagne suivante (1648) réussit mieux, et ce fut lui qui apporta au roi la nouvelle que la ville d’Ypres avait capitulé. C’était avoir déjà passablement servi sans qu’il eût encore été question de récompense. Le prince de Condé demandait pour son courrier un brevet de maréchal-de-camp ; le cardinal Mazarin se contenta de le complimenter.