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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/34

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sur ce point, il est cependant un fait qui peut servir de mesure et de règle. Parmi les feuilles populaires à trois francs par an qui ont entrepris la propagation des idées communistes, quatre ont déjà succombé ; les deux qui survivent n’ont pu réunir qu’un très petit nombre de souscripteurs. La contagion du communisme n’a donc pas été grande ; les ateliers n’en ont pas subi l’influence autant qu’on affecte de le dire. S’il a fait quelques victimes, c’est plutôt parmi les esprits qu’égarent les conseils d’une demi-science et l’ambition d’un rôle excessif. Tous les vertiges se donnent la main ; le saint-simonisme et l’église française ont fourni des sujets au communisme. Jusqu’à un certain point, il a pu aussi atteindre quelques jeunes imaginations, quelques cœurs sincères à qui manquent les conseils de l’expérience et le sentiment des réalités. La fraternité et l’égalité sont des mots bien sonores, et, après tout, désirer que l’une et l’autre règnent sur la terre, c’est vouloir ce que veut l’Évangile. Soyons dès-lors indulgens pour ces excursions dans le pays des chimères ; notre siècle positif fera vite justice de pareils élans. On improvise aujourd’hui, au sortir des bancs de l’école, un plan de réforme sociale comme naguère on rimait une tragédie. C’est le tribut de l’âge ; plus d’un cerveau le paie. Mais, avec les années, arrivent d’autres convictions et d’autres soins. On voit mieux ce qu’est la vie, ce que valent les hommes. On oublie qu’on a voulu régénérer le monde pour remplir les devoirs personnels qu’impose la société, et si, dans le nombre, quelques esprits résistent à cette loi du temps, le monde les punit par le délaissement, la plus terrible des peines.

Parmi les écrivains qui se sont faits, de nos jours, les interprètes des principes communistes, il n’en est guère qui méritent les honneurs d’une réfutation. On peut toutefois distinguer, parmi eux, deux sortes d’adhérens, les uns confessant leur doctrine, les autres ne l’acceptant que sous des réserves et la désavouant au besoin. Il va sans dire que les situations les plus franches sont aussi les meilleures ; les erreurs sincères sont les seules qui soient dignes d’excuse. Parmi les communistes avérés figure l’auteur d’un Voyage en Icarie[1]. Il s’agit encore, dans ce livre, d’une communauté imaginaire, d’une fiction, d’un régime idéal. L’Icarie est un continent merveilleux, séparé par un bras de mer du pays des Marvols. On la chercherait vainement sur nos cartes ; un seigneur anglais, lord Carisdall, qui

  1. M. P. Cabet, ancien député et avocat-général, aujourd’hui avocat à la cour royale.