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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/35

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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

l’a découverte, pourrait seul nous y conduire. Ce lord Carisdall est en outre le héros d’un récit dans lequel Buonarroti et Morus, Fénelon et Campanella se donnent la main à travers les siècles. L’Icarie est une terre promise ; elle doit ce bonheur au pontife Icar, qui a un faux air de famille avec l’Utopus du chancelier d’Angleterre et le grand métaphysicien de la Cité du Soleil. Icar est mort quand lord Carisdall arrive à Icara, capitale de cet empire ; mais d’étonnantes institutions survivent à ce législateur. Le voyageur a remis au consul du port d’embarquement deux cents guinées ; cette somme suffira pour défrayer son séjour dans l’Icarie : le gouvernement lui doit en retour la nourriture, le logement, et tous les raffinemens de la vie locale. On le transporte dans des voitures à deux étages, on le fait promener en ballon ; il a sur-le-champ un interprète officieux, des amis, une famille. Quelle existence tissue d’or et de soie ! quels jours heureux et limpides ! Rien, il faut le dire, parmi nos capitales les plus vantées, n’approche de la splendide Icara. Point de boue, point de poussières dans les rues ; de petits chemins de fer les sillonnent. Les carrosses sont interdits, mais tout le monde a droit au transport en commun. La voie publique offre ainsi des conditions de sécurité parfaite. Les piétons cheminent sous des arcades abritées, et les chiens eux-mêmes, bridés et muselés, comprennent leurs devoirs envers la communauté. Le pavé, en aucun temps, sur aucun point, n’appartient aux ivrognes ni aux courtisanes. Icara ne connaît pas la débauche ; mais en revanche on y trouve, et ici il faut emprunter les paroles du voyageur, « des indispensables, aussi élégans que commodes, les uns pour les femmes, les autres pour les hommes, où la pudeur peut entrer un moment sans rien craindre, ni pour elle-même ni pour la décence publique. » Certes, voilà un gage de haute civilisation !

En Icarie, c’est l’état qui fait tout. Il a une grande imprimerie, une grande boulangerie, de vastes abattoirs, d’immenses restaurans, de gigantesques ateliers de tailleurs, de couturières, de tapissiers, d’ébénistes. Ici l’on confectionne les chaussures, là les étoffes, plus loin les ustensiles. Les alimens sont réglés par la loi, l’ordinaire est voté chaque année par les chambres. On a des cuisiniers nationaux, des maçons nationaux, des blanchisseurs nationaux, L’Icarie a voulu faire quelque chose pour le sexe, en l’admettant à de certaines professions que notre société lui interdit, comme la chirurgie et la médecine. Les malades sont tous soignés dans des hospices publics : quant aux infirmes, Icara n’en connaît pas. Il est vrai que l’espèce y