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Aussi le roi s’en tint-il à cet outrage, sans toutefois faire connaître, autrement que d’une manière vague, la cause de son ressentiment ; et le comte de Bussy fut conduit à la Bastille, trois mois après sa réception à l’Académie, « sous l’accusation, c’est lui qui le dit, d’avoir écrit contre le roi et la reine sa mère. » Il y demeura treize mois, et ne fut quasi pas un jour sans essayer quelque démarche pour en sortir. Il y employa sa femme (car les maris retrouvent leurs femmes dans ces momens-là), son ami le duc de Saint-Aignan, deux pères jésuites, et la charitable Mme de Motteville ; il y écrivit, en vers, en prose, des requêtes affectant la gaieté ou exagérant la douleur. Au bout de huit mois, on lui demanda la démission de sa charge achetée, pour la faire passer au duc de Coaslin, son confrère de l’Académie ; en moins de temps, sa maîtresse lui fut infidèle. À la fin il tomba malade, et sa prison s’ouvrit (16 mai 1666) pour qu’il pût aller se faire traiter chez un chirurgien, d’où, bien que guéri, il eut permission (10 août) de retourner chez lui en Bourgogne, avec ordre d’y rester.

Le comte de Bussy avait alors quarante-huit ans, et il en avait encore vingt-sept à compter avant d’atteindre le terme d’une vie qui, pour la vigueur du corps comme pour la vivacité de l’esprit, paraît n’avoir été qu’une longue jeunesse. Vingt-sept ans de repos, d’inutilité, de délaissement ! L’orgueil, qui peut enfin servir à quelque chose, le sauva du désespoir. Fortement retranché dans le contentement de soi-même, au lieu de s’en faire un état contemplatif et paresseux, il le convertit en une passion active, dont le mobile était la crainte d’être oublié. Sa disgrace lui devint en quelque sorte un théâtre d’où il pouvait impunément proclamer son mérite. Il s’était réconcilié avec son aimable cousine, qui lui avait pardonné, comme les femmes pardonnent, en se réservant à perpétuité le reproche. Il lui écrivit, il écrivit à ses amis, dont le nombre et la qualité n’étaient pas médiocres ; il ne permit à personne de le traiter en homme qui n’était plus de ce monde, en provincial enterré dans son château, en courtisan perdu sans retour. Surtout il écrivit au roi, trop souvent peut-être, puisque toutes ses poursuites furent inutiles et qu’on en a fait honte à sa mémoire. Cependant il faut juger les actions des hommes, au moins quand elles ne regardent pas le prochain, selon les sentimens qui les y portent et l’idée qu’ils s’en font eux-mêmes. Le comte de Bussy ne croyait pas qu’aucune flatterie, aucune prière, aucune soumission, pût déshonorer un gentilhomme, lorsque la royauté en était l’objet. Suivant les habitudes de croire et d’agir où il avait été nourri, les rapports de courtisan à roi étaient hors des