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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

latins, qui avaient su réunir autour de leur sainte bannière les ouskoks et les vagabonds de ces montagnes. En 1740, la tribu reçut un coup funeste par l’émigration de plusieurs milliers de ses membres, qui suivirent le patriarche serbe, Arsenius Ioannovitj, dans la Syrmie hongroise. Ces émigrans bâtirent près de Mitrovitsa les gros villages de Ninkintse et de Herkovtse, dans lesquels ils ont conservé jusqu’à ce jour sans altération leur rite et leurs mœurs au milieu des Serbes, leurs voisins et amis. Moins prudens que ces derniers, les Klementi d’Albanie, poussés par les conseils fanatiques de leurs missionnaires italiens, ont fait, ligués avec les Turcs, une guerre cruelle aux schismatiques du Monténégro, et ils en recueillent maintenant les tristes fruits.

Aussi indépendans que les Klementi et plus fortement organisés, les Djègues catholiques des vastes plaines connues spécialement sous le nom de Mirdita sont renommés dans toute l’Albanie pour leur loyauté et leur bravoure, comme aussi pour la longue portée de leurs énormes carabines. Les phars mirdites sont ceux qui ont conservé le plus de traces des mœurs primitives ; c’est au point que la plupart des Mirdites ne connaissent pas encore l’usage des chemises. Leur naïveté se peint dans tous leurs actes : incapables de dissimuler, ils déclarent franchement leurs haines comme leurs amitiés ; très doux dans leurs relations habituelles, bien que sombres et taciturnes, ils ont le défaut de ne pouvoir pardonner. Leurs vengeances sont implacables ; mais, dans tout autre cas, leur charité est telle, qu’une famille mirdite ne tombe jamais dans l’indigence sans être aussitôt secourue et relevée par ses voisins. Le renégat français Ibrahim-Effendi assure avoir eu souvent occasion d’admirer la tenue morale et l’humanité des troupes mirdites dans l’armée d’Ali-Pacha. Le philhellène Urquhart, au contraire, en 1832, les regardait comme les plus stupides, les plus grossiers des Albanais, sans doute parce que ce sont les moins hellénisés. Essentiellement laboureurs, ils ne saisissent les armes qu’à regret ; quoique privés de toute industrie, ceux des côtes, afin d’écouler les produits de l’intérieur, entretiennent néanmoins quelques agens sur les places de Trieste, de Venise et de Livourne. Ces voyageurs de commerce, revenus aux bords du Drin, donnent à leurs compatriotes les seules notions que ce peuple ait de l’Europe. Étrangères aux plaisirs qui amollissent, les femmes des Mirdites savent au besoin combattre et braver la mort ; dès l’âge de seize ans, elles marchent avec des pistolets à leur ceinture, escortées de dogues terribles, descendans des antiques et fidèles molosses de l’Épire.