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défier tout oppresseur, s’ils n’étaient pour leur malheur mêlés à des musulmans. Ceux des phars malisors qui possèdent les hauts monts jusqu’à Djakova et à Prisren sont les plus mortels ennemis de la race serbe ; leur bonheur est de conduire des tchetas vers la Serbie. Néanmoins ces phars ont adopté presque entièrement les mœurs des Serbes, si bien qu’on ne les distingue de ceux-ci que par leur blanche foustanelle, qui tranche pittoresquement sur la couleur rouge de leur chlamide ou képé. Ce manteau de voyage est surmonté d’un capuchon aigu destiné à préserver de la pluie. Les chrétiens seuls portent des képés de laine noire très courts et en forme de pèlerine, ce qui donne à ces montagnards une ressemblance de plus avec les chevaliers des croisades. Leur flokota (tunique légère et sans manches pour les travaux champêtres) est le gouniats des Slaves du Monténégro. Le bonnet rouge à échancrure relevée, des deux côtés, pour contenir l’argent et les cartouches, et déjà porté par les soldats de Skanderbeg, si l’on en croit les anciennes peintures, est également commun aux Monténégrins et aux Djergues malisors. Quant aux femmes de ces tribus, on pourrait les prendre pour de véritables slavones : leur chevelure, tantôt divisée en trois tresses, avec des guirlandes de fleurs et de piastres, comme en Bosnie, tantôt rattachée avec de longues épingles à tête ovoïde, comme sur le Danube, leurs colliers en verroterie, leurs bracelets et leurs ceintures de métal, leurs chemises ornées de houppes de soie, tout rappelle le frais costume des filles du Balkan. Peut-être trouverait-on plus de caprice dans leur toilette que dans celle des Slavones. Un marché de denrées à Skadar semble une mascarade, tant les costumes de femmes y sont variés. La plus étrange de toutes ces toilettes est celle des belles de certains phars, qui se suspendent autour du corps quatre tabliers et les laissent flotter dans leur marche au gré du vent.

Le plus respecté d’entre les phars malisors est celui des Klementi, pasteurs du rite latin, maîtres de la triple source du Zem et des petites villes de Niktcha, Seotsi et Voukoli. L’évêque catholique des Klementi réside à Saba ou Sarda, l’ancienne Ardes, dont on voit encore des ruines. À cette tribu paraît se rattacher la glorieuse famille princière des Albani, qui, s’étant réfugiée à Rome au XVIe siècle, donna à l’Italie tant de cardinaux, au monde le pape Clément XI, et aux arts la merveilleuse villa Albani, immortalisée par Winkelmann, et dont les chefs-d’œuvre antiques, maintenant dispersés, ornent les principaux musées de l’Europe. Le puissant phar des Klementi avait été formé, à l’instigation de Venise, par des missionnaires