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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/416

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la voix lente et pénible des expériences, des études approfondies ; entraînés par des habitudes spéculatives, rebutés par des difficultés dont il nous est impossible d’apprécier aujourd’hui toute l’étendue, c’était par des à priori qu’ils voulaient arriver au but. On sait tout ce qu’eurent d’absurde la plupart de leurs conceptions, on sait à quels échafaudages de bizarres hypothèses aboutirent les méditations des plus beaux génies de l’antiquité, comme si, écrasés par l’immensité de la tâche, l’esprit le plus droit, l’intelligence la plus ferme, n’eussent pu éviter de succomber.

Au milieu des rêveries, seul héritage à peu près que les siècles passés nous aient légué sur ce sujet, on rencontre pourtant quelques idées vraiment philosophiques ; telle est la croyance au petit nombre des élémens que nous trouvons établie dès la plus haute antiquité. Thalès et Héraclite n’admettent qu’une seule matière élémentaire que le premier voit dans l’eau, le second dans le feu. Anaximandre et son école proclament cette doctrine des quatre élémens qui est arrivée jusqu’à nous, et si Zénon, Chrysippe, Platon et Aristote en ajoutent un cinquième, celui-ci est l’éther, feu primitif, fluide incorruptible et divin, bien distinct des principes matériels qu’il semble destiné à mettre en jeu. À une époque plus rapprochée, Descartes réduisit à trois le nombre des élémens qu’il regardait comme résultant de la poussière produite par le frottement des particules primitives. Mais l’ancienne doctrine prévalut généralement : nous la voyons se propager dans nos écoles jusque vers la fin du siècle passé, et peut-être retrouverait-on encore dans plus d’un cabinet de physique la fiole mystique des quatre élémens.

Héritiers des philosophes grecs, dominés par l’autorité de leurs noms, les physiciens devaient marcher long-temps dans la voie tracée par leurs célèbres devanciers. Platon ou Aristote à la main, ils ergotaient sur l’essence de la matière, sur son étendue, sa divisibilité finie ou infinie, sur ses atomes ronds, carrés ou crochus, sur le plein et sur le vide. Tandis que les écoles retentissaient du bruit de ces vaines disputes, une science nouvelle se formait à côté d’elles, et marchait lentement, mais sûrement, à la conquête de l’avenir. À la chimie était réservé l’honneur de soulever, de déchirer peut-être un jour tous les voiles qui nous cachent ces hautes vérités. Née au chevet des malades et dans les ateliers de l’industrie, elle ne pouvait se laisser entraîner à ces jeux de l’esprit qui avaient conduit les éléates à regarder l’univers comme un bloc immuable, à nier d’une manière absolue le témoignage des sens, et à traiter d’illusions tout ce qu’ils