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grande révolution scientifique qui détrônera bon nombre de nos élèmens pour les ramener au rôle secondaire de corps composés ?

Peut-être quelqu’un de nos lecteurs nous traitera-t-il de rêveur, d’alchimiste ; nous accepterons l’épithète. L’alchimie, débarrassée de son entourage de pratiques et de croyances superstitieuses, est-elle donc chose si ridicule ? Scheele, Priestley, Cavendisch, Lavoisier, étaient des alchimistes, car ils ont décomposé, transmuté des corps regardés jusqu’à eux comme élémentaires. N’y a-t-il donc plus rien à faire après ces hommes illustres ? ou plutôt n’y a-t-il de progrès possible que dans la voie qu’ils ont tracée ? À ce compte, la chimie, celle du moins qui s’occupe de la matière brute, serait grandement avancée. Que nos corps simples soient ou non des élémens, leurs propriétés paraissent aujourd’hui à peu près connues, et, sauf quelques détails, il reste sans doute peu de chose à découvrir ; mais, parmi les faits positifs recueillis en travaillant dans cette direction, il en est qui se rattachent tellement à nos idées, que nous allons les rappeler en peu de mots.

On admet généralement que l’ensemble des propriétés qui caractérisent un corps dépend de sa composition, qu’il en est la conséquence. Cet ensemble ne devra donc changer qu’autant que la nature du corps, c’est-à-dire sa composition, viendra à être altérée. Toutes les fois que deux corps jouissant de la même composition se trouveront placés dans des circonstances semblables, ils devront présenter identité de propriétés. Eh bien ! il n’en est pas ainsi. La chimie organique nous offre de nombreux exemples de corps isomères, c’est-à-dire donnant par l’analyse les mêmes élémens dans les mêmes proportions, et qui n’en sont pas moins parfaitement distincts. La chimie inorganique présente des faits analogues. Bien plus, il suffit quelquefois d’une opération très simple pour changer les propriétés les plus essentielles d’un corps, pour en faire un corps nouveau sans toucher à sa composition. Ce phénomène a reçu des chimistes le nom de dimorphisme. Ici les exemples abondent ; contentons-nous de citer les plus saillans.

Pour enlever, en tout ou en partie, à certains oxides, la propriété si caractéristique de se dissoudre dans des acides, il suffit de les chauffer un peu fortement. Placez dans un creuset entouré de charbons ardens une certaine quantité d’oxide de chrome, dont la couleur est d’un vert foncé presque noir ; dès que le creuset commencera à rougir, sous verrez sa température s’élever brusquement, et