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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

Nous avons vu par quels singuliers droits héréditaires attachés à quelques misérables bourgs, quelquefois à des ruines, la plus grande partie de la représentation nationale était concentrée entre les mains d’une centaine de pairs. Que fit le bill de réforme ? Il enleva la franchise à ces pierres inertes, et la donna à des créatures animées ; mais il la distribua de telle façon que la propriété foncière, qui est, dans tous les pays du monde, la base véritable et légitime de l’influence aristocratique, obtint dans la représentation nationale une part encore plus grande que celle qu’elle avait précédemment. Ainsi, tandis que lord John Russell, en qui se personnifie plus particulièrement l’acte de réforme, donnait la franchise à Manchester et à plusieurs autres villes, il augmentait en même temps considérablement le nombre des représentans des comtés. Cette clause fut, si l’on veut nous passer la comparaison, le morceau de sucre mis dans la médecine que l’on voulait faire prendre à l’aristocratie. Les intelligens patriciens, en gens habiles, commencèrent par accepter l’indemnité qu’on leur offrait, puis ils glissèrent innocemment dans le bill de réforme deux clauses qui en détruisirent presque tout l’effet et les rendirent eux-mêmes plus puissans que jamais. Ces deux clauses furent : celle qui donna le droit de suffrage aux tenants at will (fermiers sans bail), et celle qui le conserva aux freemen (membres des corporations). C’est une considération digne de remarque, que ces deux mesures ont pour principe l’extension et non la restriction du droit de suffrage ; que toujours nous voyons le parti véritablement libéral chercher à réduire, et le parti aristocratique chercher à multiplier le nombre des électeurs : tant il est vrai que la liberté ne constitue pas par elle-même l’indépendance, et que, dans les pays où l’exercice régulier des droits politiques n’est pas assuré par la propriété, toute extension nouvelle du droit de suffrage ne peut qu’apporter une nouvelle somme d’influence à l’aristocratie.

La création et le maintien des deux classes d’électeurs que nous venons de nommer ont suffi pour altérer toutes les conséquences que contenait en germe le bill de réforme, et pour faire de cet acte célébré comme une boîte de Pandore d’où se sont répandus sur la surface de l’Angleterre des trésors jusque-là cachés d’intimidation et de corruption.

Pour que l’on ne nous soupçonne point d’attaquer injustement le bill de réforme, nous emprunterons le témoignage d’un des partisans les plus décidés de cette mesure, du membre le plus radical du dernier ministère, M. Macaulay. L’ancien ministre de la guerre