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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

cœur se gonfler ; puis il voit d’un autre côté le champion de cette tyrannie hautaine qui, il y a peu de temps encore, foulait aux pieds son pays, calomniait sa religion, déshonorait ses filles, et l’accablait de son mépris. C’est pour cet homme qu’il est appelé à voter ! Pâle et tremblant, il monte sur les hustings comme sur un échafaud, et prononce, non pas le nom de celui qu’il aime et respecte, mais le nom de celui qu’il méprise et qu’il abhorre ! Ou bien il se révolte contre la tyrannie, et il vote selon sa conscience. Ah ! malheureux ! Avant un mois, avant une semaine peut-être, tout ce qu’il possède sera saisi et enlevé ; le cheval qui traînait la charrue, la vache qui donnait le lait, le lit sur lequel il oubliait quelquefois ses angoisses, tout sera pris, et il s’en ira avec la Providence pour guide, et Dieu, je l’espère, pour vengeur. »

Voilà le sort des petits fermiers. Cette domination des propriétaires est tellement inhérente aux mœurs anglaises, que lord Stanley disait en plein parlement qu’il suffisait de connaître dans quel sens voterait telle ou telle famille pour déterminer d’avance l’issue de l’élection d’un comté. Aux dernières élections générales, il se présenta un fait curieux. Le duc de Leeds, qui avait de grandes propriétés dans le Yorkshire, venait de mourir, et on ne savait pas encore quel parti choisirait le nouveau duc. Pendant quinze jours, les candidats des deux parts s’abstinrent de canvasser les fermiers. À la veille du vote, un des candidats rencontra un électeur qui lui dit : À la fin, nous avons reçu des ordres ; il paraît que nous votons pour les jaunes (pour les whigs). En effet, les fermiers du duc de Leeds votèrent tous jusqu’au dernier pour les whigs.

Ainsi des campagnes, ainsi des villes. Ici même, la situation se complique. Il y a l’influence des propriétaires sur les locataires, et l’influence des pratiques sur les marchands. Londres, par exemple, est presque exclusivement la propriété d’un petit nombre de familles ; le marquis de Westminster, chef des Grosvenor, le duc de Bedford, chef des Russell, et d’autres encore, possèdent des quartiers tout entiers. Qui les empêche de suivre l’exemple qui a été donné dans certaines villes, où des propriétaires, quelque temps avant les élections, forçaient leurs locataires à convertir des baux à l’année en baux à la semaine, et prenaient soin de faire tomber le terme de l’échéance au jour même du vote, de sorte que les électeurs se trouvaient ainsi sous le coup d’une expulsion immédiate ? On a vu un pair d’Angleterre, après une élection, chasser en un jour de leur logis soixante de ses locataires. C’est ce que le duc de Newcastle,