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hardiment touchée. Cette esquisse tiendrait bien sa place parmi vos meilleurs tableaux. Il vous dira que cette toile n’est pas de lui ; n’en croyez rien et laissez-le dire. — Combien cela vaut-il ? demanda le prince. — Vingt-cinq louis. » Le prince ne perdit pas de temps, il eut le tableau, et le pauvre peintre eut vingt-cinq louis. Très-bien, Jean-Baptiste, il vous sera tenu compte de cette œuvre-là. Certes, si, comme vous l’espériez en mourant, on fait aussi des portraits là-haut, Dieu ne vous oubliera point.

IV.

André Charles ou Carle Vanloo, second fils de Louis Vanloo, naquit à Nice en 1705 ; il avait un an lorsque le maréchal de Berwick vint assiéger cette ville. Dès les premières heures du bombardement, sa pauvre mère éperdue le détache de son sein, le couche dans son berceau, le fait descendre ainsi dans la cave, et se met en prière. Quelques minutes après, une bombe frappe la maison, traverse les plafonds, descend dans la cave et emporte en éclatant jusqu’aux moindres vestiges du berceau. Mais Carle Vanloo n’était plus dans le berceau, par un miracle à coup sûr : le bon Jean-Baptiste Vanloo, qui aimait déjà son frère, l’avait pris dans ses bras pour l’empêcher de pleurer ; il l’avait emporté sous la voûte d’une cave voisine. C’est là ce qui advint de plus saillant à Carle Vanloo dans son enfance. Son père, au lit de mort, le confia à Jean-Baptiste en lui disant : « Sois son maître, fais qu’il devienne un Vanloo. » Le vœu du testateur fut exaucé, Jean-Baptiste fut pour Carle ce qu’il fut pour ses enfans, c’est-à-dire un maître patient, un ami généreux. Ce fut à Rome, dans l’atelier de Benetto Luti, que Carle prit ses premières leçons. Dès que Jean-Baptiste lui vit tenir son crayon, il s’écria : « C’est bien, celui-là est encore de la famille. » En effet, Carle prouva de bonne heure qu’il avait la main d’un peintre prédestiné. Le statuaire Legros, voyant avec quel merveilleux sans-façon il jetait une ligne heureuse, rechercha la gloire d’être aussi son maître : il lui donna des leçons de sculpture. Le jeune homme, enthousiaste des chefs-d’œuvre de Michel-Ange, voulut être tout à la fois un peintre et un sculpteur ; il prit le ciseau avec une noble ardeur ; Legros parla bientôt de son talent, mais Legros mourut. Carle revint à son frère ; il jeta le ciseau et reprit le crayon ; ce ne fut pas sans douleur et sans regret. Carle avait à peine quinze ans : déjà il travaillait aux accessoires et aux paysages des tableaux de Jean-Baptiste ; mais dès ce